lundi 7 juin 2010

Les yeux de la déesse

Je fais de plus en plus d'articles sur commande, ça devient une habitude insidieuse... Mais bon, puisque je suis une âme charitable qui éprouve le plaisir de faire plaisir en étalant le beurre de sa culture sur la petite tartine de ce blog, je dédicace aujourd'hui un nouvel article de la chronique des dieux pas si oubliés que ça. Si vous êtes passionnés ou juste intrigués, ouvrez bien vos esgourdes. Ou plutôt vos mirettes...

Nous sommes en l'an de grâce... houlà, faux départ.


Nous sommes quelque part entre le mythe et la réalité alternative, là où les puissances surnaturelles s'agitent le bigoudi, en un temps reculé toujours d'actualité dans la mémoire inconsciente du monde. En ce temps mythique, il y avait un dieu, nommé Zeus, plein de ressources - surtout physiques - pour conquérir le monde. Il y avait une déesse, fille de la mer, nommée Mètis. On en parle peu de Mètis, et pourtant! Elle fut la première épouse de Zeus, à cette époque où le trône était à sa portée mais pas encore acquis. Mètis est plus qu'une simple fille de la mer. Elle est l'intelligence, la ruse, la sagesse ; elle est la capacité à penser, coordonner les données dans son esprit, monter des plans, créer intellectuellement, étape essentielle pour qui veut créer matériellement ensuite, mettre en ordre, se sortir de situations complexes... Mètis est une puissance de la pensée et de la volonté. On dirait qu'Ulysse est Polymètis (Plein de ruses), car il fait montre d'habileté pour se sortir des emmerdes les plus graves en pondant des plans plus tordus les uns que les autres. Métis, c'est ça.
Et aussi une déesse sacrément canon. Donc Zeus, qui est grand, beau, fort et bien bâti, mais qui n'a pas franchement la mètis dans le citron, l'aime, l'épouse et lui met le polichinelle dans le tiroir, comme dit ma mère (polymètis, elle). Mètis l'aide accessoirement à vaincre Cronos - vous savez, le père qui avait gobé ses enfants comme un serpent gobe des oeufs de poule : Mètis a préparé la potion magique qui a forcé Cronos a dégobiller ses mouflets.
Mais voilà, vint rapidement un jour où la Terre et le Ciel prédirent à Zeus que Mètis concevrait deux enfants de lui : une qui serait aussi sage et dévouée que sa mère, un autre qui, comme son père et son grand-père avant lui, détrônerait son géniteur. A savoir Zeus lui-même.
Et que fit donc Zeus? Bé, comme son père avant lui, il goba l'enfant à naître - et la mère avec. La technique avait fait ses preuves et puis, comme Mètis était la seule à savoir faire le vomitif capable de contre-carrer ce sort, la boucle était bouclée et bien malin qui déferrait ça. Z'allez me dire, Zeus, il aurait pu attendre que le mouflet naisse et lui laisser une chance d'être soit sage et dévouée, soit détrônant. Mais non, ça marche pas comme ça, ma p'tite dame. Le coup de laisser naître la progéniture avant de l'avaler, c'est un mauvais plan. Zeus en était la preuve éclatante.
Alors cul sec la Mètis enceinte! Et c'est ainsi que Zeus eut non seulement des atouts physiques imparables, mais aussi avec lui, en lui, l'essence même de la sagesse, de l'intelligence et de la ruse. Il pouvait pondre lui-même les stratagèmes les plus excellents, ce qu'il ne se priva pas de faire pour conquérir le monde et le maintenir en ordre. Jusqu'à ce jour où, traînant sur les bords du lac Triton en Lybie (voyez, la mer...) il sentit une migraine lui labourer le sommet du crâne. Tout puissant qu'il fut, il ne pouvait s'en débarrasser et il sentait que sa tête allait exploser sans que pourtant elle n'en fit rien. Héphaïstos, le forgeron, passa par là.
- Mais mon bon roi, vous perdez les eaux!
- Hein?!
- Mais si, ça vous coule par les oreilles... et là, ça palpite un peu... Vous allez accoucher!
- Mais... par les oreilles?
- Ben ça risque de pas passer facilement. On pourrait mettre du beurre pour graisser les esgourdes, mais...
- Abruti de boiteux! La césarienne, vite! [on aurait dû l'appeler la Jupitérienne, mais Zeus avait trop mal au crâne pour penser déposer un brevet]
Héphaïstos prit sa hache à deux mains, la fit tournoyer au-dessus de sa tête avec la précision d'un chirurgien sous amphètes, et trépana le roi des cieux d'un coup d'un seul. Retirant sa hache (en s'appuyant du pied droit sur l'épaule de Zeus qui se jura de laisser l'accouchement au sexe féminin), il laissa une faille béante dans la tête du dieu. Alors, un cri retentit (eleleleleleleï!!! - cri de guerre hellénique) suivi de la pointe d'une lance, d'un casque avec la tête d'une dame à l'intérieur, puis tout le reste du corps, en robe, à peine couvert de sang et sans cellule grise (les dieux en ont-ils d'ailleurs? Les meilleurs experts en biothéologie devraient se pencher sur la question).
"Poussez, monsieur! Poussez!"

Athéna était née.

A mon avis, Zeus, bien qu'il ait dû l'avaler comme un comprimé d'aspirine, aimait sincèrement et profondément Mètis. Elle l'habita toujours d'ailleurs. Simplement, qu'elle et lui ne fassent qu'un n'empêchait pas l'accouchement. Car Athéna était née de la tête de son père, là où résidait sa mère. Et Zeus l'aima. On dit qu'elle fut sa fille favorite. L'enfant de son premier amour comprenez.
Elle eut sa place sur l'Olympe, à la droite du père, comme qui dirait. Sage et intelligente comme sa mère, forte comme son père, elle demanda à rester éternellement chaste et vierge. Rien d'étonnant, sa mère ayant été non seulement engrossée mais en plus ingérée, la jeune Athéna ne voulait certainement pas risquer le traumatisme. Elle participa aux conseils des douze dieux, dont elle fit partie. Elle tissa le linge de maison, combattit les Géants, vainquit Pallas, dont elle prit le nom, mit au point nombre de techniques et les enseigna aux hommes. Elle guida les meilleurs fils mortels de Zeus et d'autres héros encore, mena les Achéens contre Thèbes, sauva le coeur de Dionysos (dévoré par les Titans selon le mythe orphique)... Elle est un peu l'agent spécial de Zeus. Déesse de la guerre, des techniques et donc de l'artisanat, du tissage, on la connaît bien sous l'apparence d'une femme vêtue d'une tunique longue, armée comme un homme et tenant parfois la quenouille, attribut féminin s'il en est. La chouette est son emblème, ainsi que l'olivier. Homère nous dit qu'elle a des yeux de chouette. Athènes se vante d'avoir reçu d'elle l'art de cultiver les oliviers pour en tirer l'huile bénéfique, ainsi que l'art de dompter les chevaux, que Poséidon leur avait offerts sauvages, même pô dressés, le rapiat. Athéna transmit aux hommes l'art de faire des noeux, pour naviguer, les mathématiques et donc tout ce qui en dépend, le mors pour les chevaux, l'art du tissage, la flûte, peut-être bien le fil à couper le beurre, etc...
Plus que la déesse de l'intelligence, ce qu'incarne sa mère, elle est plutôt la mise en pratique de l'intelligence, l'action produite par la réflexion et la volonté, le fruit du ciboulot.

C'est donc une déesse bienveillante, proche de l'homme dont elle fonde la "civilisation". Pourtant, bien des a priori pèsent sur ses épaules d'ivoire...
D'abord, il paraîtrait qu'elle est "androgyne", ou "virile". C'est vrai que dans une société misogyne comme l'était par exemple la cité d'Athènes, on s'étonne de voir une déesse tutélaire porter les principaux attributs de la fonction sociale masculine (la guerre et le pouvoir) en même temps que ceux de la femme (le tricot). Pourtant, cela ne devrait pas étonner. Elle est une déesse et les divinités ne fonctionnent pas comme les hommes. Ca devrait être évident, mais beaucoup ont du mal à intégrer le concept, tout contrits dans les archétypes que des millénaires de guerre des sexes leur ont inculqués... Et puis, à bien y regarder... qu'est-ce qu'elle a faire de la guerre des sexes Athéna? Qu'est-ce qu'elle a à faire du sexe tout court, d'ailleurs? Elle, la vierge guerrière, la chaste et intellectuelle Athéna, elle qui est née d'une mère et d'un père qui n'étaient devenus qu'une personne ? Des cacahuètes ouais...
Puissance neutre elle est. Puissance brute, dirais-je. Comme Apollon, tenez. Une puissance à l'état pur. Spirituelle, mais pas pour autant monacale. Bienveillante et sage, mais pas pour autant une effarouchée de la moralité rationnelle. Comme dans le cas d'Apollon, on a trop fait d'elle, au fil du temps et dès l'Antiquité, une froide garante d'un équilibre rationnel, opposé à la fureur d'Arès. Oui, cela n'est pas à remettre en question, mais doit-on oublier l'énergie magique qui se dégageait de sa personne aux temps les plus anciens, avant que la philosophie moralisante ne fasse des dieux de véritables piliers de vertu, parfois bien détachés des réalités de la nature?

Banzaïïï¨!!! Géronimoooo!!! Montjoie!!!
Sus à ces p'tits bâtards d'ennemis!!!

Voyez-la au combat, dans tous ses états de déesse de la guerre.
Voyez-la dans l'Iliade, combattant aux côtés des Grecs. Imaginez-la débarouller sur le champ de bataille comme une Walkyrie au son des trompettes, debout sur un char en pleine charge, la robe flottant au vent, hululant le cri de guerre pour impressionner l'ennemi, la lance levée, l'égide brandie, peau de chèvre à franges de serpents, la tête de la gorgone plantée dessus comme un trophée morbide au regard pétrifiant. Voyez-la soulever un rocher grand comme un blindé et l'abattre sur la tête d'Arès, injurier Aphrodite en la traitant de "mouche à chiens" (elle aurait aussi bien pu dire "catin", c'est juste qu'il n'y avait pas de chats dans la Grèce de monsieur Homère). D'ailleurs, au passage, l'antagonisme qui existe entre elle et Aphrodite est assez marqué chez Homère pour ne pas le souligner. Quand Athéna offre la victoire à Pâris, comme à tout homme, Aphrodite lui offre l'amour, comme à tout homme. Deux champs d'actions qui ne se croisent pas, deux déesses qui ne peuvent pas vraiment empiéter sur le terrain de l'autre. Aphrodite participe au combat mais ça ne lui réussit pas : un mortel, guidé par Athéna, parvient à la blesser et elle court se réfugier dans les jupons de sa mère. D'un autre côté, Athéna n'a pas obtenu non plus la pomme d'or et le prix de beauté...

Oh-My-GoD!
J'ai failli mettre Xena, mais Barbie Athéna, c'est quand du high level...

Et Héphaïstos dû comprendre à ses dépends qu'Athéna n'était pas à déesse à jouer à l'amour. Il voulut la posséder charnellement, sa compagne des travaux pratiques. Mais Athéna, qui était opé pour manipuler l'argile, le bois, la pierre, sculpter, tronçonner, charpenter, bidouiller, connecter les fils du circuit électronique ou forger des tournevis, n'avait pas l'intention d'aller plus loin que la stricte coopération fraternelle. Héphaïstos, bouillonnant de désir, tenta de la violer un jour dans un temple d'Athènes. Elle eut du mal à se défendre, car il est musclé le forgeron, mais elle parvint sans doute à l'assommer avec son casque et à le bananer hors de sa propriété avec pertes et fracas. Surtout des pertes, et des pertes blanches... On dit qu'Athéna dut s'essuyer la cuisse avec un mouchoir, qu'elle jeta à terre où naquit plus tard un être mi-homme mi-serpent. Erichthonios, qu'Athéna dans sa grande classe éleva comme un fils adoptif ; il devint roi de la cité qui porte son nom - à elle. Héphaïstos, lui, dut se contenter de son épouse volubile, Aphrodite... Comme quoi les voies d'Athéna sont impénétrables...

Un coup d'latte d'Athéna et tu remets ton slip pour sept ans
- devine la marque, du slip...

Légèrement violente hein la déesse de la sagesse. C'est que sagesse ne veut pas forcément dire pacifisme, et les Grecs l'entendaient bien de cette oreille. Le sage ne tend pas l'autre joue dans la nature. Il vous prend par les bijoux de famille et vous retourne une droite pour que vous ne recommenciez plus. Tenez, même Ovide, longtemps après Homère, s'en souvenait. Arachnée, une damoiselle très douée pour le tricot et pour repriser les chaussettes, se vanta un jour de maîtriser l'art subtil et complexe du tissage beaucoup mieux qu'Athéna elle-même. La bourde. On fit un concours, comme souvent en pareille occasion. Celle qui réaliserait le plus beau patchwork gagnerait le droit de faire fermer sa gueule à l'autre. Ben celui d'Athéna, non seulement il était bien cousu, bien long, bien chaud, mais en plus, on aurait pu jurer voir les histoires cousues dessus se dérouler vraiment. N'est pas dieu qui veut. Arachnée le paya cher : elle se vit contrainte à vivre petite, poilue et moche, à huit pattes, obligée de tisser avec du fil qui lui sort du fondement pour pécher le moustique en plein vol.

Elle trame les plus belles oeuvres et les pièges les plus subtils.
Ne serait-elle pas déesse du web?


Uma Thurman dans une vie antérieure.

Et Médusa? Ah Médusa... folle est la gorgone qui croit se jouer de la fille de Mètis. Elle se vantait, déesse qu'elle était, d'être plus belle qu'Athéna. Bon, Aphrodite ok, mais cette Médusa... Elle disait avoir de plus beaux cheveux, un plus beau regard. Ca traîna, Athéna ne mouftant pas tout de suite. Puis un jour, Médusa séduisit Poséidon et se laissa monter... dans un temple d'Athéna. Oui, j'ai dit montée, parce que bon, y a toute une symbolique hippique derrière tout ça (Poséidon est un dieu cheval, Médusa aussi, chevalerie incarnant la puissance des eaux). Athéna, là, elle piqua sa crise et on la comprend bien. C'est interdit, bons dieux, de forniquer dans les sanctuaires. Un peu de respect, bordel! Du coup, Médusa ne fut plus belle du tout. Un corps de cheval, un visage en cul de babouin, des défenses de sanglier dans le bec, des serpents dans les cheveux, des ailes dans le dos, et un regard... médusant. Quiconque le croise meurt, pétrifié. C'est clair, net et sans bavure. Plus une chance qu'elle la ramène la Médusa. Jusqu'à ce qu'un héros lui sépare le chef du reste du corps et le dédie à Athéna, qui se le plante en trophée sur le bouclier. Na.

L'ange ou le fantôme de la nuit?

Et j'en viens à ce qui me tient à coeur, après tant de palabres et de peopletteries. Les yeux. Athéna et les yeux, une longue histoire que je tente ici, en exclusivité ('fin presque) de vous résumer. Il y a les yeux de Méduse, qui pétrifient. Il y a les yeux de la chouette, les yeux même d'Athéna si on en croit les plus anciens récits. La chouette dont les yeux voient dans le noir comme la sagesse incarnée guide dans les ténèbres de l'ignorance? Très jolie métaphore. Mais, plus crument, les fidèles d'Athéna ont-ils vécu ça comme ça? Ou comme le vécurent tous ceux qui croisèrent une chouette en pleine nuit noire, ce machin aux yeux ronds et fixes qui apparaissent de nulle part et vous toisent en poussant un hululement à vous glacer le jus de vie dans les veines? Qui sait, si on croisait les yeux de la Gorgone, verrait-on les mêmes yeux ronds et proprement stupéfiants qui feraient verser trois gouttes sur le matelas en pleine nuit?
Plus largement, le regard qui fait peur c'est le regard qui ensorcelle, lie, immobilise. La chouette, image de la sorcière... Hedwige n'est pas loin, non?

T'as d'beaux z'yeux tu sais?

Les légendes athéniennes racontent comment Athéna guida le tyran Pisistrate à son sanctuaire... Les gens prenaient soin de ne pas la regarder dans les yeux, car on savait que son regard était insoutenable pour un mortel qu'il tuerait plus sûrement qu'une balle en pleine tête. C'est ainsi que Pisistrate put faire passer une de ses servantes pour la déesse, vu que personne n'irait vérifier son empreinte oculaire. Polymètis le mec. Finalement, il devait être guidé par Athéna pour de vrai.

Elle est donc bien, je le crois de tout mon coeur, une puissance à l'état naturel, une véritable force de la nature humaine, inventive, ingénieuse, civilisatrice autant que retorse, protectrice autant que terrifiante et proprement mortifiante. Elle aime la guerre, vraiment, sauf celle des sexes, qui n'a aucun sens pour elle. Elle lie, méduse par le regard, abat par la force, guide par l'intellect. C'est là toute son énergie, une énergie que l'on peut bien trouver un brin magique...