Le mot du Nouvel An c'est ça : voeux.
Moi qui n'ait jamais vraiment ressenti le passage d'une année à l'autre et qui fuit l'instant terrible des douze coups de minuit, quitte à en perdre ma sandale de vair fourrée, cette soudaineté de la précision où soit on vous souhaite tout le meilleur comme une flopée de cotillons ou bien le pire comme un Nostradamus du calendrier civil... moi qui fuit cela parce que justement le calendrier civil n'a jamais rien comporté pour moi d'émotif et de particulièrement magique, je suis un peu intrigué de voir et d'entendre partout l'expression des voeux.
Qu'est-ce qu'un "voeu"? Quid in latini? Votum est un terme qui désigne le procédé rituel par lequel on consacre un objet matériel, voire abstrait si vous êtes doué, selon le principe du don, en échange d'un contre-don de la divinité. Ce geste appuie souvent une prière à laquelle on sacrifie parce que le dieu y a répondu et qu'il mérite qu'on remplisse à notre tour notre part du contrat. Le voeu, c'est donc une prière comportant une promesse d'offrande. D'où l'expression "vouer qlq ch. à qlq'un". En magie comme en religion (mais où est la différence?), vouer un être à une divinité consiste à faire agir cette divinité sur cet être, et se dévouer soi-même entraîne un lien fort entre soi et la puissance invoquée.
Le voeu n'exige pas forcément un souhait sinon celui d'établir un tel lien mystique. Mais dans la prière votive, réflexe païen bien connu de l'Antiquité, le voeu répond souvent à un souhait satisfait, et le voeu est proprement accompli. La notion de souhait, elle, renvoie à un certain degré d'intention, élément important du micmac magique (ou religieux, mais vous finirez bien par comprendre que dans le rite, c'est du pareil au même). Cette intention s'apparente à la volonté, qu'elle soit contraignante (imposée à la puissance invoquée) ou juste "souhaitée", ce qui laisse une bonne dose de libre action aux forces de la nature. Ainsi, voeu ressemble à voult, la poupée d'envoûtement en ancien françois, envoûtement qui procède par la dévolution d'un individu à la volonté (contraignante) d'un autre. Le lexique ici présent est celui de la volonté, mais ne peut-on pas y voir une dérive des procédés de votum antiques qui vouaient une chose à une autre?
Tout ça pour en venir à l'idée que, théoriquement, lorsqu'on vous souhaite une bonne année, on voue votre personne à des forces surnaturelles bénéfiques : les traditionnels (ah, la tradition!) voeux de fin d'année (ou plutôt de début) sont généralement des voeux de prospérité, de santé, d'amour, de paix et de promotion sur le futur beaujolais nouveau, parce que tout ce qui est nouveau comporte une part de risque que l'on tenterait selon un réflexe païen de contrecarrer par les voeux aux divinités. Si on ne vous souhaite pas tout ça c'est qu'on est un vrai salaud. Mais, pourquoi reprendre cette tradition de voeux, quand on voit à quel point elle a perdu son sens originel? Aujourd'hui, quand votre oncle Billius vous souhaite santé, prospérité et chance aux jeux, il le fait parce que c'est comme ça et qu'il a une culture inconsciente mais collective (salut Jung) du voeu aux génies de la fortune, de la santé et de la chance (la déesse Fortuna/Tychè a eu sa place au premier rang des textes officiels pendant plusieurs siècles). Mais l'idée selon laquelle le voeu est un contrat qui implique que l'on consacre quelque chose ou quelqu'un à ces puissances allégoriques lui passe à dix kilomètres au-dessus de la tête. Pourtant le principe du don, de l'échange, est celui qui est mis en valeur encore, de la même manière inconsciente et collective, le jour de Noël et dans le rite des étrennes de début d'année!
Déjà, sachez que si je vous souhaite "bonne année!" ce sera pure politesse et que si je vous envoie mes voeux, c'est que quelque chose de louche se passe. Mais pas d'envoûtement, non, c'est pas classe ça. Ce sont des voeux de prospérité, santé et fraises tagada, et je vous vouerais bien volontiers à Fortuna, voire à Saturne.
Oui, parce que voilà, c'est un peu le moment des Saturnales, quoiqu'il s'agisse d'une fête plutôt enterrée sous Noël et le carnaval que sous celle de l'An neuf. Ce sont les fêtes de Saturne, le dieu roi de l'Âge d'or que nous n'avons jamais connu mais qui nous fait envie. On l'honore par l'inversion carnavalesque, celle qui fait des esclaves les maîtres et des maîtres les esclaves; on s'échange des étrennes, comme un tour de passe-passe et on ouvre une parenthèse dans le tissu serré des codes moraux, s'autorisant la licence d'imaginer l'âge d'or sans contraintes avant de reprendre le rythme régulier d'une vie civile et ordonnée.
Que Saturne vous apporte la santé, la prospérité et une vie sociale si vous n'en avez pas une, en échange de quoi je lui voue cet article.
Oh, et bonne année.
Moi qui n'ait jamais vraiment ressenti le passage d'une année à l'autre et qui fuit l'instant terrible des douze coups de minuit, quitte à en perdre ma sandale de vair fourrée, cette soudaineté de la précision où soit on vous souhaite tout le meilleur comme une flopée de cotillons ou bien le pire comme un Nostradamus du calendrier civil... moi qui fuit cela parce que justement le calendrier civil n'a jamais rien comporté pour moi d'émotif et de particulièrement magique, je suis un peu intrigué de voir et d'entendre partout l'expression des voeux.
Petite étude du mot du jour (et de l'an par extension).
Qu'est-ce qu'un "voeu"? Quid in latini? Votum est un terme qui désigne le procédé rituel par lequel on consacre un objet matériel, voire abstrait si vous êtes doué, selon le principe du don, en échange d'un contre-don de la divinité. Ce geste appuie souvent une prière à laquelle on sacrifie parce que le dieu y a répondu et qu'il mérite qu'on remplisse à notre tour notre part du contrat. Le voeu, c'est donc une prière comportant une promesse d'offrande. D'où l'expression "vouer qlq ch. à qlq'un". En magie comme en religion (mais où est la différence?), vouer un être à une divinité consiste à faire agir cette divinité sur cet être, et se dévouer soi-même entraîne un lien fort entre soi et la puissance invoquée.
Le voeu n'exige pas forcément un souhait sinon celui d'établir un tel lien mystique. Mais dans la prière votive, réflexe païen bien connu de l'Antiquité, le voeu répond souvent à un souhait satisfait, et le voeu est proprement accompli. La notion de souhait, elle, renvoie à un certain degré d'intention, élément important du micmac magique (ou religieux, mais vous finirez bien par comprendre que dans le rite, c'est du pareil au même). Cette intention s'apparente à la volonté, qu'elle soit contraignante (imposée à la puissance invoquée) ou juste "souhaitée", ce qui laisse une bonne dose de libre action aux forces de la nature. Ainsi, voeu ressemble à voult, la poupée d'envoûtement en ancien françois, envoûtement qui procède par la dévolution d'un individu à la volonté (contraignante) d'un autre. Le lexique ici présent est celui de la volonté, mais ne peut-on pas y voir une dérive des procédés de votum antiques qui vouaient une chose à une autre?
Tout ça pour en venir à l'idée que, théoriquement, lorsqu'on vous souhaite une bonne année, on voue votre personne à des forces surnaturelles bénéfiques : les traditionnels (ah, la tradition!) voeux de fin d'année (ou plutôt de début) sont généralement des voeux de prospérité, de santé, d'amour, de paix et de promotion sur le futur beaujolais nouveau, parce que tout ce qui est nouveau comporte une part de risque que l'on tenterait selon un réflexe païen de contrecarrer par les voeux aux divinités. Si on ne vous souhaite pas tout ça c'est qu'on est un vrai salaud. Mais, pourquoi reprendre cette tradition de voeux, quand on voit à quel point elle a perdu son sens originel? Aujourd'hui, quand votre oncle Billius vous souhaite santé, prospérité et chance aux jeux, il le fait parce que c'est comme ça et qu'il a une culture inconsciente mais collective (salut Jung) du voeu aux génies de la fortune, de la santé et de la chance (la déesse Fortuna/Tychè a eu sa place au premier rang des textes officiels pendant plusieurs siècles). Mais l'idée selon laquelle le voeu est un contrat qui implique que l'on consacre quelque chose ou quelqu'un à ces puissances allégoriques lui passe à dix kilomètres au-dessus de la tête. Pourtant le principe du don, de l'échange, est celui qui est mis en valeur encore, de la même manière inconsciente et collective, le jour de Noël et dans le rite des étrennes de début d'année!
Déjà, sachez que si je vous souhaite "bonne année!" ce sera pure politesse et que si je vous envoie mes voeux, c'est que quelque chose de louche se passe. Mais pas d'envoûtement, non, c'est pas classe ça. Ce sont des voeux de prospérité, santé et fraises tagada, et je vous vouerais bien volontiers à Fortuna, voire à Saturne.
Oui, parce que voilà, c'est un peu le moment des Saturnales, quoiqu'il s'agisse d'une fête plutôt enterrée sous Noël et le carnaval que sous celle de l'An neuf. Ce sont les fêtes de Saturne, le dieu roi de l'Âge d'or que nous n'avons jamais connu mais qui nous fait envie. On l'honore par l'inversion carnavalesque, celle qui fait des esclaves les maîtres et des maîtres les esclaves; on s'échange des étrennes, comme un tour de passe-passe et on ouvre une parenthèse dans le tissu serré des codes moraux, s'autorisant la licence d'imaginer l'âge d'or sans contraintes avant de reprendre le rythme régulier d'une vie civile et ordonnée.
Que Saturne vous apporte la santé, la prospérité et une vie sociale si vous n'en avez pas une, en échange de quoi je lui voue cet article.
Oh, et bonne année.