jeudi 31 décembre 2009

En veoux tu, en voilà!

Le mot du Nouvel An c'est ça : voeux.

Moi qui n'ait jamais vraiment ressenti le passage d'une année à l'autre et qui fuit l'instant terrible des douze coups de minuit, quitte à en perdre ma sandale de vair fourrée, cette soudaineté de la précision où soit on vous souhaite tout le meilleur comme une flopée de cotillons ou bien le pire comme un Nostradamus du calendrier civil... moi qui fuit cela parce que justement le calendrier civil n'a jamais rien comporté pour moi d'émotif et de particulièrement magique, je suis un peu intrigué de voir et d'entendre partout l'expression des voeux.

Attention! Bécotage - 2 min.

Petite étude du mot du jour (et de l'an par extension).

Qu'est-ce qu'un "voeu"? Quid in latini? Votum est un terme qui désigne le procédé rituel par lequel on consacre un objet matériel, voire abstrait si vous êtes doué, selon le principe du don, en échange d'un contre-don de la divinité. Ce geste appuie souvent une prière à laquelle on sacrifie parce que le dieu y a répondu et qu'il mérite qu'on remplisse à notre tour notre part du contrat. Le voeu, c'est donc une prière comportant une promesse d'offrande. D'où l'expression "vouer qlq ch. à qlq'un". En magie comme en religion (mais où est la différence?), vouer un être à une divinité consiste à faire agir cette divinité sur cet être, et se dévouer soi-même entraîne un lien fort entre soi et la puissance invoquée.
Le voeu n'exige pas forcément un souhait sinon celui d'établir un tel lien mystique. Mais dans la prière votive, réflexe païen bien connu de l'Antiquité, le voeu répond souvent à un souhait satisfait, et le voeu est proprement accompli. La notion de souhait, elle, renvoie à un certain degré d'intention, élément important du micmac magique (ou religieux, mais vous finirez bien par comprendre que dans le rite, c'est du pareil au même). Cette intention s'apparente à la volonté, qu'elle soit contraignante (imposée à la puissance invoquée) ou juste "souhaitée", ce qui laisse une bonne dose de libre action aux forces de la nature. Ainsi, voeu ressemble à voult, la poupée d'envoûtement en ancien françois, envoûtement qui procède par la dévolution d'un individu à la volonté (contraignante) d'un autre. Le lexique ici présent est celui de la volonté, mais ne peut-on pas y voir une dérive des procédés de votum antiques qui vouaient une chose à une autre?

Tout ça pour en venir à l'idée que, théoriquement, lorsqu'on vous souhaite une bonne année, on voue votre personne à des forces surnaturelles bénéfiques : les traditionnels (ah, la tradition!) voeux de fin d'année (ou plutôt de début) sont généralement des voeux de prospérité, de santé, d'amour, de paix et de promotion sur le futur beaujolais nouveau, parce que tout ce qui est nouveau comporte une part de risque que l'on tenterait selon un réflexe païen de contrecarrer par les voeux aux divinités. Si on ne vous souhaite pas tout ça c'est qu'on est un vrai salaud. Mais, pourquoi reprendre cette tradition de voeux, quand on voit à quel point elle a perdu son sens originel? Aujourd'hui, quand votre oncle Billius vous souhaite santé, prospérité et chance aux jeux, il le fait parce que c'est comme ça et qu'il a une culture inconsciente mais collective (salut Jung) du voeu aux génies de la fortune, de la santé et de la chance (la déesse Fortuna/Tychè a eu sa place au premier rang des textes officiels pendant plusieurs siècles). Mais l'idée selon laquelle le voeu est un contrat qui implique que l'on consacre quelque chose ou quelqu'un à ces puissances allégoriques lui passe à dix kilomètres au-dessus de la tête. Pourtant le principe du don, de l'échange, est celui qui est mis en valeur encore, de la même manière inconsciente et collective, le jour de Noël et dans le rite des étrennes de début d'année!

Déjà, sachez que si je vous souhaite "bonne année!" ce sera pure politesse et que si je vous envoie mes voeux, c'est que quelque chose de louche se passe. Mais pas d'envoûtement, non, c'est pas classe ça. Ce sont des voeux de prospérité, santé et fraises tagada, et je vous vouerais bien volontiers à Fortuna, voire à Saturne.

Oui, parce que voilà, c'est un peu le moment des Saturnales, quoiqu'il s'agisse d'une fête plutôt enterrée sous Noël et le carnaval que sous celle de l'An neuf. Ce sont les fêtes de Saturne, le dieu roi de l'Âge d'or que nous n'avons jamais connu mais qui nous fait envie. On l'honore par l'inversion carnavalesque, celle qui fait des esclaves les maîtres et des maîtres les esclaves; on s'échange des étrennes, comme un tour de passe-passe et on ouvre une parenthèse dans le tissu serré des codes moraux, s'autorisant la licence d'imaginer l'âge d'or sans contraintes avant de reprendre le rythme régulier d'une vie civile et ordonnée.

Que Saturne vous apporte la santé, la prospérité et une vie sociale si vous n'en avez pas une, en échange de quoi je lui voue cet article.

Oh, et bonne année.

mardi 29 décembre 2009

B comme...

Bijoux, bisou, beau...

Balivernes! Non, monsieur, des beaux bijoux, vraiment. Breloques! Oui, mais païennes, les breloques alors. Babioles! Euh... Boute-en-train, bonbon, bagatelle, bague et boniments?

Bijoux!

Non mais au cas où vous auriez pas remarqué, les ateliers de créations païennes poussent comme des champignons sur la toile. Et les créations de bijoux occupent sans doute le premier plan. Des champignons, vous dis-je! C'est comme si des petits lutins s'affairaient depuis quelques temps à faire naître chez un maximum de gens l'envie de s'exprimer sous forme d'ornement, et de proposer cette expression à d'autres, congénères, consoeurs, confrères, & co.

Souvenez-vous, il y a un peu plus d'un an... mon amie la Dame du Lierre (oui, c'est moi qui l'appelle comme ça mais c'est de sa faute) ouvrait sa boutique sous le lierre. Eh ben regardez-y Sous le Lierre: elle y est toujours! Dites-moi que vous êtes allés voir... C'est de la belle caillasse, de la pierre magicalement transmuée (ouais, je sais, magicalement c'est pas dans le dico, mais néologisme si). Et il y a du mérite, de la passion derrière tout ça.

Bon, voilà pour le rafraichissement de mémoire. Maintenant, roulement de tambours...
BBBrrrrrBBBBBrrrrrrBBBBBrrrrr-BLAM!


Une nouvelle boutique, une autre amie, une autre créativité, un même talent. Cliquez moi sur ce petit lien, là (juste au-dessus, celui qu'est en couleur!). C'est païen, comme son nom l'indique. C'est des bijoux, j'vous assure. Et ça se regarde, ça se sent, ça s'effleure, ça s'achète, ça se porte, ça parle. Ca parle créativité, originalité, personnalité.

Bon, soyez indulgents, le site démarre, il commence. La maîtresse de maison vous distillera ses trésors avec le temps, comme une pluie de perles dans l'océan (soyez aussi indulgents envers mes métaphores, merci). Depuis le temps qu'elle me fait mariner avec son projet top-secret-défonce, je ne peux plus résister au moment de le rendre public!

J'vais peut-être m'y mettre aussi au bijou païen... ou trouver un concept de boutique païenne sur le net... Imaginons. Pourquoi pas un sex shop païen? Me vois bien vendre des gods de Beltane ou des tenues de petites fées lubriques... Ben quoi? ils ouvrent bien des sex shops pour chiens dans Paris!!! Ou alors, j'm'en tiens aux trois B : Blog, Balivernes, Bière Brune (ça fait trois quand même).

lundi 28 décembre 2009

Attention, spoiler! Attention, humain!

J'ai hésité un petit moment avant de poster ce qui suit, à savoir si je l'épingle côté perso ou si je l'englue là où vous posez les yeux (oui, parce qu'au cas où vous l'auriez pas remarqué, ce blog est mon blog "public", genre celui où je parle pas complètement de moi mais plus d'autres choses). Et je sais toujours pas bien si ça mérite sa place ici...

En bref.

J'ai vu Avatar.

Avec la belle aux senteurs de lys couverts par la rosée du matin que je tenais à mon bras, on savait que ce film devait se regarder au cinéma. Deux critères pour ça : pour être visible dignement au ciné, un film se doit ou bien d'être très profond textuellement et émouvant aux larmes ou au rire, ou bien d'être prodigieux visuellement. Quand c'est les deux, c'est un bon film. L'équation n'est pas bien compliquée.

On savait qu'Avatar était de la deuxième catégorie : prodigieux visuellement. Et il l'est. C'est du Cameron, mais ça s'arrête pas là. C'est beau comme un coulis de myrtilles sur une glace au caramel. C'est grand comme une partie de ping pong entre Titans. Côté effets visuels, j'veux dire. Des arbres qui font de la lumière! Nan mais sans blague, on y aurait pas pensé, même à Noël. Pour la recherche des modèles, ils ont dû prendre un manuel d'enfant sur la préhistoire et ils ont élargi les proportions, façon guimauve élastique, ils ont rajouté des pattes, des yeux, des dents, et ils ont renversé leurs pots de peinture dessus. Ca donne du beau. OK, jusque là les mecs, z'avez bien joué. Particulièrement pour le côté Final Fantasy de l'ensemble (les montagnes volantes, ça leur vient d'où cette idée?).

Maintenant, le scénar. Ben toute l'énergie (intellectuelle) a été dépensée dans l'effet visuel et la réalisation. Mais du côté de l'historiette, on s'complique pas. On reprend l'humain, on le retourne comme un gant pour mettre tous ses travers en avant, et on l'envoie coloniser une autre planète. Remake de l'Occidental en Afrique, XIXe s., mais au futur sur un satellite du Jupiter d'une autre galaxie. John Smith est un marine handicapée qui se retrouve travesti en indigène à peau bleue (on a déjà fait le tour des autres couleurs sur Terre et Mars) pour espionner la tribu que les méchants colons veulent chasser pour s'approprier les richesses de leur sous-sol, vu que sur Terre on a déjà tout foutu en l'air. Mais là, le héros tombe dans les bras de Pocahontas et devient peu à peu un parfait Tarzan converti au culte de la déesse-nature et de ses arbres éclairés. Tout est dit, sauf la fin, mais j'vous en laisse le plaisir de la (re)découverte. Je ne donnerai qu'un indice : Reversed Independance Day.

A partir de là, la déontologie m'invite à vous mettre en garde : attention, spoiler!

Y a du païen, y a du primitif et sauvage, y a du nature versus industry, on s'y reconnaît. Les mauvais côtés de l'humain nous sautent de nouveau à la gorge et ce pendant trois heures. On sait que si l'homme colonisait une autre planète, il agirait comme ça. On revoit l'Irminsul dans la chute de l'Arbre-Maison, on voit l'East India Company dans la Compagnie assoiffée de capitaux et de ressources. On voit des militaires en kaki qu'on dirait des GI en Irak (ah bah ouais) et des scientifiques qu'on dirait presque Don Quichotte combiné avec Rousseau, mais sont touchants. On a envie de renier notre nature humaine pour sauter sur un dragon et pilonner de flèches les envahisseurs. Mais le pire, c'est quand le type en chemise qui gère l'exploitation pour le compte des actionnaires de la Compagnie se met à éclater de rire alors que la scientifique éclairée lui explique qu'il peut pas s'en prendre aux arbres et aux populations parce que toute la biologie de cette planète est en fait un réseau vivant qui ressent et réagit (cf Théorie Gaïa) ; là, le voisin de siège sur le plan matériel de la salle de ciné se met à rire aussi, et ce con a exactement le même rire. A ce moment, tu as non seulement envie d'exploser la tête de l'acteur (son personnage, 'fin vous m'comprenez) à coup de projecteur holographique, mais tu as simultanément le désir furieux et express d'envoyer valser le co-spectateur contre l'écran en espérant que celui-ci ne soit pas de toile mais de plexiglas. Et quand la salle, suite à la projection (du film, pas du spectateur), se met à applaudir, cette envie prend malgré toi de l'ampleur. Tu sais que tous applaudissent à l'effet visuel du film et peut-être, tu l'espères, au message qu'il suppose véhiculer, mais tu sais aussi qu'une fois franchies les portes du cinéma l'effet visuel laissera une empreinte que n'aura pas le message. Et tu repenses au type qui riait, et tu repenses à tous ces être humains qui ne ressentent rien pour leur propre planète au point qu'on éprouve le besoin de les impressionner avec un autre monde imaginé pour espérer leur faire comprendre leurs erreurs ici et maintenant. Et tu sais que c'est inutile, c'est brasser du vent. Comme dans le film, l'humain est au final coupé de la nature, rares sont ceux qui sont capables d'une telle connexion.

Mais que croire? Pardon, que faire? Se réfugier derrière son avatar?

Je suis pas mort

... et je poste encore!

Saviez-vous qu'au pays de Cuchulain, j'ai nommé l'Irlande, le mariage païen est maintenant officiellement reconnu? Vui vui, ladys and gentlemen, c'est du scoop officiel, en Irlande, le paganisme est une religion aux yeux de l'Etat, et une religion qu'il accepte. La PFI (Fédération Païenne Internationale), section Irlandaise, est également reconnue comme l'interlocuteur privilégié, le représentant du paganisme dans le pays. C'est-y pas impressionnant?

lundi 30 novembre 2009

Les fils de la Terre et du Ciel étoilé

"Je suis le fils de la Terre et du Ciel étoilé..."

Voici comment les orphistes, lorsqu'ils avaient trépassé et rejoins l'autre rive du Styx, se présentaient au gardien de la source de mémoire. Mais qui sont les fils de la Terre, Gaïa, et du Ciel étoilé, Ouranos? Ne sont-ce pas, chez les poètes comme Hésiode, cette première génération de dieux, les Titans, du règne de l'Age d'or?

Si, les Titans et les hommes sont bien ensemble fils de la Terre et du Ciel étoilé. Mais voici ce que raconte le mythe orphique...

Zeus, ayant vaincu Cronos, le maître des Titans et des hommes de l'Age d'or, instaura un nouveau monde et, absorbant le cosmos, il devint le monde, le recréa de lui-même et assura son emprise sur lui. Se métamorphosant en serpent, le Sabazios, un dracôn, il s'unit à Rhéa-Cybèle-Déméter, la mère, celle qui règne sur les montagnes et les terres cultivées, il engendra Perséphone, la future reine de l'Au-delà. Zeus Sabazios s'unit ensuite à elle, sa propre fille... quelle image sensuelle que le serpent aux écailles cuivrées, image même de l'eau souterraine dont le pouvoir jaïssant est celui de la vie, s'enroulant autour du corps de la déesse charmée...

Naquit l'héritier de Zeus, le jeune enfant-dieu Dionysos Zagreus, taureau divin, incarnation de la puissance vitale, fils des déesses de la terre et du dieu du ciel. L'enfant fut éduqué par Apollon, le Soleil. Le sceptre de Zeus lui était promis, sceptre qui était venu à Zeus depuis le Premier être originel (l'Eros-Pan-Protogonos) après être passé dans les mains de la Nuit prophétesse, d'Ouranos le Ciel étoilé, puis de Cronos. Mais les Titans ne l'entendaient pas ainsi...

Ils enlevèrent l'enfant-dieu, le charmant avec des jouets, le sacrifièrent, le démembrèrent pour mettre sa chair à bouillir, dans une parodie de sacrifice, noir et maléfique. Athéna, la sage fille de Zeus, sauva le coeur de l'enfant. Le roi des dieux foudroya l'assemblée des Titans, les réduisit en cendres fumantes, maudites. Le coeur fut plus tard donné à manger à Sémélé, de la race des héros, qui engendrera Dionysos, le deux fois né, fondateur des mystères...

Les hommes furent créés à partir des cendres des Titans. Sans doute par Prométhée, lui-même titan. Ainsi les hommes sont-ils les derniers des Titans, dotés d'une nature divine, une double nature : en eux coule la puissance de vie, dans leur sang est le pouvoir de Dionysos Zagreus, l'héritier de Zeus... mais aussi une vie maudite, celle des Titans sacrilèges, une malédiction que seuls les mystères de Dionysos permettent de purifier, pour que dans l'Au-delà le gardien reconnaisse l'homme comme fils de la Terre et du Ciel étoilé...

Aujourd'hui les derniers des Titans sont toujours prisonniers de la malédiction. Ils démembrent la puissance même de la vie, la dévorent, sans respect des équilibres sacrés établis par les dieux - la nature. Le feu du Soleil, volé dans les entrailles de la Terre par Prométhée, autre faute aux yeux de Zeus, est une de ces malédictions qui leur donne le sentiment de leur pouvoir, pouvoir corrompu... Pensez au pétrole, poche de feu solaire prise dans le ventre de la terre, et dont l'usage déséquilibré aujourd'hui nous place devant notre responsabilité...

Se pourrait-il qu'un jour les hommes reprennent ces antiques messages, les réactualisent pour les lire au regards des caractéristiques de leur temps, et comprennent le sens du serpent divin et du fruit de son union avec les déesses de la terre, Dionysos, puissance de vie, sauvage et libératrice à la fois?

jeudi 19 novembre 2009

Intern or extern policy?

La politique étrangère britannique vue par William Gladstone, secrétaire libéral du Foreign office de sa Majesté en 1879 :

"La première chose est d'oeuvrer au renforcement de l'Empire en établissant chez nous des lois justes et une économie saine...
... que notre politique étrangère vise à maintenir la paix parmi... les nations chrétiennes du monde...
... s'efforcer de cultiver, de maintenir, oui, ... ce que l'on appelle le Concert de l'Europe. ... agir en commun est fatal aux égoïsmes. Agir en commun veut dire avoir des objectifs en commun; et les seuls objectifs autour desquels vous pouvez rassembler les Puissances européennes sont ceux qui concernent le bien de tous.
... reconnaître l'égalité des droits des nations entre elles. ... en donnant aux peuples des autres nations des raisons de ne plus avoir de respect et d'estime pour votre pays, vous lui portez en réalité un coup sévère.
... la politique étrangère de l'Angleterre devrait toujours être inspirée par l'amour de la liberté."
Discours à West Calder, 11 novembre 1879.

Quelques temps plus tôt, le radical John Bright déplorait au contraire l'importance de la politique étrangère comparée à la politique sociale, bien faible, de son pays...

" ... cette politique étrangère, cet intérêt pour "les libertés de l'Europe", ... cet amour excessif de "l'équilibre des pouvoirs" n'est ni plus ni moins qu'un vaste système d'assistance à domicile pour l'aristocratie britannique.
...
Je crois qu'il n'y a pas de grandeur permanente pour une nation si elle n'est pas fondée sur la moralité. Je me soucie peu de la grandeur des armes ou de leur réputation. Je me soucie de la condition des gens parmi lesquels je vis. ... les couronnes, les tiares, les mitres, les parades militaires, les pompes de la guerre, les nombreuses colonies, et un immense empire, pèsent selon moi encore moins que l'air et ne valent pas qu'on leur accorde de l'attention, à moins qu'ils ne s'accompagnent d'une proportion équitable de confort, de satisfaction et de bonheur dans le peuple."
Discours prononcé par John Bright le 29 octobre 1858 à l'hôtel de ville de Birmingham.

And now, compare...

jeudi 5 novembre 2009

jeudi 29 octobre 2009

Bienvenue à Cale-en-Bourg!

Mes chers amis... c'est fou ce que la géographie peut surprendre. Au détour d'un site que je regardais d'un oeil morne et sur lequel j'ai littéralement pillé une jolie petite quantité d'articles - dont je ne lirai probablement que la moitié - un mot m'a sauté à la figure. Il a bien failli me pulvériser la lentille de contact, secouant les liquides à l'intérieur de cet oeil morne que je citais...

..."cryptarchie"...

Bon, quand on a un peu le pied grec, on flotte assez facilement sur ce genre de néologisme, un peu facile, et la racine "crypt-" entraîne déjà quelques remous dans le bassin. Elle veut dire "caché". Avec tout le goût du secret qu'on peut avoir. Et "archie", mon cher Archimède, ça veut dire "autorité, gouvernement", 'fin comme dans "monarchie", "tétrarchie", "érarchie" (oups, non, ça c'est un néologisme à moi!)... bref, une cryptarchie kézako?

C'est, à en croire cet article, un type d'Etat, entendez par là un gouvernement plus ou moins élaboré, avec un territoire. Un territoire qui, dans le cas présent, peut se restreindre à la taille d'un fond de verre imprimé sur un meuble Louis XV ou n'être, tout simplement, que purement revendiqué, sans réel contrôle, "en sommeil", ou alors carrément virtuel (et là il ne se compte pas en km² mais en mégaoctets...)! Bref, une peau de chagrin dans un monde où, si on en croit le "droit des peuples à décider d'eux-mêmes", n'importe quel pélerin peut, théoriquement, décréter qu'il se constitue en Etat autonome et revendiquer son patrimoine foncier, sa terre, son lopin, comme territoire... Le loup solitaire quittant la meute qui se ferait un pays.

N'est-ce pas prodigieux? On n'y aurait pas pensé... Bon si on exclut quelques gugus de la communauté païenne qui, j'les vois bien venir avec leurs identitarismes et leurs révolutionarismes (c'est pas un néologisme ça?), s'ils y pensent, auront bien envie de se retirer dans leurs sanctuaires-Etats... et si on exclut les sorciers dont, c'est bien connu, le monde est organisé depuis le Code international du secret magique de 1687 (secret, crypto...) en Confédération, entre à mon avis bien dans la catégorie "crytarchie"... Moi j'suis tenté de faire comme les autres, là, dans l'article, me prendre un bout d'îlot perdu dans l'océan Atlantique, avec quelques sujets qui voudraient bien me reconnaître comme leur patriarche, et j'lèverais mes propres impôts, avec ma propre monnaie (qu'aurait un bouquetin, la monnaie), mon drapeau taillé dans de la toile de jupe, et j'construirais mon village, Cale-en-Bourg qu'il s'appellerait dans le patoi devenu langue nationale, et on chanterait l'hymne "Wythies'brew" en buvant de l'hydromel local (premier produit d'exportation), le jour de la fête nationale du 31 octobre, et peut-être, si ils sont sages, j'me présenterais aux élections de la présidence du Conseil européen... ou de l'ONU... j'sais pas 'core, faut que j'vois ça avec mes ministres.

Ou alors, j'déclare officiellement le Grimoire territoire de la tribu Telebinu... mais c'est moins pratique pour faire vieillir l'hydromel.

(Attendez, on frappe à ma porte...

............

C'était l'Unef.)

Bon où que j'en suis moi? ah ouais, la cryptarchie.

"... la création d'un Etat peut être vue comme une forme moderne de l'ubris, provocation suprême de l'individu..." : arrêt sur image.
L'Hubris (avec un "h", bordel, quand on fait des néologismes, on garde son grec froid!) dans la Grèce ancienne où j'ai un peu vécu (sisi), c'était un truc énooorme, une attitude que la mythologie et les tragédies athéniennes ont bien retourné sous tous les sens. Il s'agit de démesure, mais de grave démesure, du genre le pauvre mortel qui se prend pour un dieu. La grosse tête quoi. Mais je trouve que cette phrase est intéressante. Avoir un territoire, c'est-à-dire un morceau découpé sur cette terre d'après les seuls critères d'un esprit humain alliant propriété et esprit de meute (ou de troupeau), n'est-ce pas un peu s'attribuer arbitrairement ce qui, au départ, est propriété des dieux, à savoir le monde? est-ce que l'identité d'un homme a nécessairement besoin d'un territoire pour exister, ou peut-elle se contenter de l'abstrait? Les liens entre le monde physique et la représentation que l'on en fait, très intéressants du point de vue des rapports avec une divinité immanante, rejoignent un peu cette notion de territoire... Quand à l'Etat... Tout de suite les grands mots!

Houlà! mais c'est que j'm'intéresserais vraiment à la géo moi maintenant...

lundi 26 octobre 2009

Et Pandore, cette gourdasse, ouvrit la boîte...

"J'en chie en c'moment!" "Je rame" "Je galère à joindre les deux bouts" "je suis épuisé" "la vie est dure ma brave dame"... et autres allocutions du genre qui reviennent toutes à dire que nous aut', pauvres mortels d'ici bas, nous souffrons, peinons, pataugeons dans le cambouis d'une vie toujours en chantier... Mais quelle est l'histoire?

Il y a celle d'une p... fille, qui s'appellait Eve, et qui écoutait trop naïvement - dans l'innocence d'un monde où on pouvait pas manger les fruits de la connaissance, genre tu peux tout faire mais surtout n'y comprend rien, ne réfléchis pas - trop naïvement donc les ragots de basses branches d'un serpent bien malin celui-là - normal il avait dû déjà en bouffer du fruit défendu, lui. Eve a donc croqué sa pomme - ou sa figue, ou sa grenade, bref le fruit de la connaissance, celui qui te rend moins con mais du coup moins gérable. Elle en a fait partager la pulpe juteuse (et là y en a qui ressortent leurs interprétations philosophiques et freudiennes du mythe) à son homme, le seul qu'elle pouvait avoir au demeurant, lequel, aussi con qu'elle, s'est mis à savoir. Du coup, puni cagibi, ils sont voués tous les trois à en chier jusqu'à la rédemption finale où tout le monde se retrouve purifié et revient à ce nirvana de la béate ignorance, genre camé profond qui distingue pas ses pieds dans les nuages. La nana hurle sa maman lorsqu'elle a ses règles ou lorsque le futur chiard lui écarte les parois vaginales, le papa se crève le dos en poussant sa charrue dans son champ plein de caillasse et paie ses impôts, le serpent se ripe la bedaine à se tortiller sans guibole sur la même caillasse, bref, la vie quoi.

Autre culture, autre mythe, même morale grosso peto. Zeus s'est fait arnaqué sur la marchandise lorsqu'a été institué le rite du sacrifice (aux hommes la viande, aux dieux les os et la graisse), du coup il fulmine sa vengeance bien frappée, avec des glaçons en forme de coeur. Il fait modeler une femme, une bombasse qu'Héphaistos, potier pour l'occasion, tripote dans la glaise de son atelier et à qui il donne vie. Cette belle Pandore ("cadeau de tous", mais quel cadeau) reçoit bien des dons : le charme d'Aphrodite, des fringues de chez Athéna (c'est de la marque) et le grain de sel d'Hermès : la curiosité. Pandore est donc, là aussi, une conne. Mais elle a été faite ainsi, ne lui en veuillez pas.
On la refourgue en mariage à Epiméthée, le frère de celui-là même qui a créé les hommes et arnaqué Zeus, Prométhée. Mais ce frangin est tout l'opposé de son aîné et, comme son nom l'indique, c'est lui aussi un abruti. Ce qui est moins excusable de la part d'un titan, mais bon, passons, ce qui est fait est fait. Comme cadeau de mariage, on lui donne une boîte avec écrit "défense d'ouvrir" (ou une jarre, ou un pot de chambre sur lequel il est écrit "ne pas tirer la chasse", comme vous voulez). Faut déjà se méfier de ce genre de cadeau. Mais les deux mariés sont des triso. Epiméthée un peu moins, il comprend quand même qu'un cadeau de Zeus avec écrit "pas touch'", ça s'touche pas. Il le planque.
Mais voilà, un jour qu'il était partie taper le carton, Pandore, cette brave petite, décide de faire le grand ménage de printemps. Et elle tombe sur la boîte que son c... cher époux avait mal cachée. Et comme elle est curieuse, pire qu'Alice, elle l'ouvre.

La conne.

Un tas de merdes s'en échappent, mais des vraies saletés. Toute la misère du monde s'y trouvait enfermée, gentil cadeau empoisonné, et du coup s'échappent la faim, l'effort, la peine, la maladie, la douleur, les impôts et le papier toilette écologique, bref, tout ce qui rend notre vie si difficile à construire, notre quotidien si semblable à un jeu de cricket où c'est toi qui fait la boule. Pandore se retrouve mal, bien sûr, la pauvre, si elle avait su lire (ben oui, le mythe ne dit pas si elle avait seulement appris à lire cette cruche). Mais le mal est fait, les hommes sont destinés à suer sang et eau pour payer des taxes, les femmes à les maudire quand elles transmettent ce lourd fardeau à leur engence, et les serpents... non pas de serpent dans cette histoire, les pauvres bêtes, elles n'ont rien à voir là dedans, c'est une épouventable méprise.

(zoli dessin d'Arthur Rackham)

C'est alors qu'entre ses larmes, la pauvrette se rend compte qu'il reste un truc au fond de la boîte. Là, grelottant, l'air perdu comme une coccinelle dans un bac à sable, cherchant à se fondre dans le décor en bois peint de sa prison maudite, l'Espoir, petite bestiole minuscule et volatile que le Père des hommes et des dieux, dans sa miséricorde - bon j'parle chrétien et alors? - avait gentiment laissée avec toutes ses merdes dans le tuperware de la chcoumoune, au cas où le reste serait trop difficile à supporter pour les hommes.

Un suppositoire pour faire passer le poison, en somme.

L'espoir... un cadeau? Je n'en suis pas sûr. C'est une pilule agréable certes, mais ne fait-il pas parti de la malédiction au même titre que les autres? Car Zeus, mon bon Hésiode, est retors, il a la métis en lui, la ruse, la sagesse de pondre des plans que Machiavel aurait pas pu imaginer. Zeus est pas roi des dieux pour des prunes, il sait ce qu'il fait. Les malheurs ne seraient rien sans l'espoir. Mais l'espoir de quoi? L'espoir d'une vie meilleure? L'espoir d'échapper à tout le reste? Non, on n'y échappe pas. Pourtant oui, la vie peut être meilleure. Alors? Doit-on espérer?

Oui, on le doit. Oui parce que depuis que cette gourdasse de Pandore a ouvert la boîte, l'espoir s'est mêlé à toute la foule des cochonneries qu'on doit endurer. C'est aussi lui qui fait jouer au loto le mec qui peut pas payer une sucette à son gosse, dans l'espoir d'être riche et de rembourser toutes les dettes contractées pour la bagnolle. L'espoir fait vivre. L'espoir permet d'endurer la souffrance, le chagrin, mais ne soigne pas de l'inéluctable. Zeus, plus malin que Yawhé qui plante un arbre pour qu'on n'en mange pas le fruit, avec sa boîte qu'on doit pas ouvrir? Peut-être pas. Yawhé savait aussi ce qu'il faisait. On n'est pas démiurge transcendantal sans un brin de jujote. Si Adam et Eve n'avaient pas mangé le fruit, il seraient restés dans cet état d'hébétude éternelle que tout bon créateur attend de ses poulains quand il expérimente avec eux la vie. Mais en mangeant le fruit de la connaissance, ils deviennent les seuls responsables de leurs choix. C'est le libre-arbitre, tant discuté par les théologiens de ce quartier. Du coup le Père se décharge de sa propre responsabilité. L'expérience ne sera pas pratique, mais il pourra au moins reprocher leurs inconduites à ceux qui savent. Et il leur vendra la foi, en compensation, dans sa miséricorde.

Mais que faire de cet espoir? Le remettre dans sa boîte et réexpédier le tout à Zeus en colissimo? Ou le recueillir, l'entretenir avec des feuilles (ou des blogs, question de régime), lui donner un petit coin de coeur avec un nid douillé, fait des branches de nos propres souffrances? Pandore, cette Pérette, a finalement fait le bon choix. Elle a recueilli l'espoir, lui a lissé les ailes, l'a nourri avec un goutte-à-goutte de ses propres larmes, et il s'est multiplié. Chaque être humain peut donc avoir l'espoir avec lui. Celui-ci est impuissant à soigner le mal, mais c'est un précieux compagnon pour éponger les chagrins qu'il engendre, puisqu'il se nourrit de larmes et sécrète le désir de vivre. Ainsi l'espoir fait vivre.

Il n'a rien de comparable à la force de la volonté, rien qui agisse sur ce monde. Ce n'est pas une puissance métamorphosante, il ne modifie pas notre vie. Mais il essuie la sueur. Et quand il disparaît l'homme sait qu'il a perdu quelque chose.

Chaque homme est une boîte de Pandore.

mercredi 21 octobre 2009

Interpretationes

Ai lu l'article de Clifford Ando, historien anglo-saxon, sur l'"Interpretatio Romana" (Impact of Imperial Rome on Religions, Ritual and Religious Life in the Roman Empire..., publié à Leyde en 2006), et le propos rejoint en partie une discussion que j'ai eue hier soir avec une amie, donc j'ai plutôt envie de m'étendre sur le sujet... et hop! encore un peu de beurre sur la tartine!

Quid de l'interpretatio romana? Comme la graeca en grec, il s'agit théoriquement de l'identification faite par les Romains d'une divinité étrangère avec un membre de leur propre panthéon. Par exemple, ce brave César vadrouillant en Gaule, considère que les barbares ici présents vouent un culte particulièrement fort à Mercure. Entendez par là à Lug, mais César, précisément, ne dit pas Lug, il dit Mercure. Est-ce juste parce qu'il écrit à des Romains et que, pour qu'on comprenne ce qu'il baragouine, il utilise un nom latin comme traduction? ou bien est-ce parce qu'il considère vraiment que Lug et Mercure sont la même personne - je veux dire le même dieu? Tout cela ne va pas sans poser quelques problèmes...

Les historiens ont souvent considéré que ce phénomène d'interpretatio était essentiellement linguistique : on traduit, plus qu'on identifie. Lug est un nom barbare, utilisons un mot bien romain, siouplé!
Mais l'article que j'ai lu préfère défendre une idée moins réductrice.

D'abord, le fait de traduire une idée étrangère, dans le champs lexical de l'écrivain, est très ancien. Pline l'Ancien raconte que les druides considéraient le gui comme la chose la plus sacrée et qu'ils portaient lors de tous leurs rites les feuilles de l'arbre sur lequel poussait cette jolie boule parasite et toxique au demeurant. Du coup, ils se retrouvaient souvent paré de feuilles de chêne. Et c'est pour ça qu'on les appelle "druides", parce qu'en grec (et c'est en grec qu'on a commencé à parler des druides) le chêne se dit "dryes" (matez la jolie dryade). On ne dira jamais à quel point les Anciens se creusaient la cervelle pour bricoler des étymologies fascinantes, mais bon, le fait est qu'il y a bien là un cas sévère d'interpretatio graeca.

Le problème de la langue est courant dans l'Antiquité, est en fait, il traduit les différences culturelles entre les peuples. L'exemple fameux cité par l'article est celui des Grecs d'Etolie qui, vaincus militairement par les Romains, ont demandé au général vainqueur sa miséricorde, lui promettant leur "pistis" (foi, confiance, alliance) en signant le traité... mais en latin, pistis se traduit par fides, qui veut bien dire aussi foi, confiance, mais en fait d'alliance, une relation d'inférieur à un supérieur... voyant qu'ils se plantaient sur la dose d'épice dans la sauce, les Grecs sont allés dire au général romain qu'il leur faisait signer un traité contraire à leurs principes culturels et politiques typiquement grecs de liberté, lequel général leur a répondu froidement quelque chose qui veut dire à peu près : "ta gueule, si j'ai envie j't'écrase avec le pouce alors fais ton lit et couche-toi" ou "j'ai l'armée la plus forte, ta liberté tu t'la fous... à la grecque"...

Plus tard, bien plus tard, quand le grec avait à Rome la même teneur que l'anglais à Paname, c'est-à-dire la langue à la mode, l'internationale, celle que t'es ringard si tu sais pas dire what a fuck ou coca cola mac iphone coming out, l'empereur Tibère a demandé au sénat de ne parler que le latin à la curie, de remplacer le mot "emblèma" dans leurs sénatus-consultes par l'équivalent latin, façon "on dit pas e-mail, on dit message électronique". On est Romains bordel de merde.

L'ennui, encore, c'est que les mots grecs se traduisent pas en latin, ils s'approximatisent. Et j'vous parle pas des faux-amis. Quintilien, en parlant de "rhétorique" (un h derrière un r, y a que les Grecs pour réussir à aspirer un r...), trouve dégueulasse le mot latin oratoria, qui fait minable à côté de ce mot grec au sens riche et tellement plus poétique... Bref, tout ça pour dire que la linguistique est une calamité de tous les temps. Et que dire donc des dieux? Peut-on traduire un dieu d'une culture étrangère dans la nôtre? Peut-on faire du Macdo un Quick, sans que la sauce ait définitivement un autre goût (et des chiottes plus propres, souvent, mais passons)? Héra d'Argos est-elle Junon de Rome?

Dans la langue, c'est en fait facile. Mais dans l'image? Les statues de cultes ne se ressemblent pas. Les dieux ne sont même pas les mêmes d'un rituel à l'autre, d'une culture à l'autre, d'un temple à l'autre. Sarapis, ah! Sarapis, en Egypte, est vu par certains comme un Jupiter à cause de son pouvoir, un Osiris parce qu'égyptien, un Asclépios parce qu'on le représente avec le bâton au serpent... Qui peut prétendre voir dans l'égyptien Ammon, avec ses cornes, l'essence et la personnalité de Zeus avec sa foudre? L'identification a ses limites. Qu'Allah soit Yawhé, ca paraît évident - encore que... - sinon qu'Allah c'est de l'arabe et Yawhé de l'hébreu (au demeurant deux langues sémitiques, et avec un lien entre Allah et El), honorés par des rites différents, dans des cultures différentes.

Alors oui, quand on affirme qu'il n'y a qu'un dieu et que c'est celui-là le vrai, on peut être tenté de dire que de tous les côtés c'est bien le même qu'on voit, mais quand un dieu est censé se distinguer du reste d'un panthéon, que ces panthéons sont eux-mêmes diverses et qu'ils ne s'articulent pas de la même façon, que penser? Doit-on considérer qu'Ammon et Zeus sont d'une même essence, malgré leurs anthropomorphisations radicalement différentes, leurs attributs qui n'ont rien en commun (une oie pour l'un, un aigle pour l'autre), leurs places diverses dans leurs panthéons respectifs (Ammon n'a pas de père, Zeus a fait enchaîner le sien...), leurs rites différents, etc. Dans un sens, oui, si on considère leurs pouvoirs, ou plutôt le vis de leur numen, la force de leur essence... Tous deux sont maîtres du monde, leur essence est celle de dieux prépondérants, quasi absolus, des presque Allah-Yawhé, et leur force se ressent pareil, celle du pouvoir supérieur... Peu importe comment cette idée se traduit en images, actes, paroles, l'archétype est là, le reste n'est que langage pour exprimer en termes humains ce qui est par essence "surnaturel" et "surhumain".

Se manifeste alors la souplesse du polythéisme, qui fait qu'un même dieu n'est pas vénéré partout sous la même forme, avec des noms différents : ici Athéna est Poliade (de la cité), là elle est Calcheia (du bronze), mais ça reste Athéna quand à l'essence fondamentale. Dans l'Iliade, Héphaïstos est marié à une Grâce, dans l'Odyssée à Aphrodite, mais qu'importe? on n'exprime pas tout à fait la même chose, alors on joue sur les représentations comme on joue sur les mots.

On peut polémiquer sur les interpretationes. Pour moi César s'est un peu planté : Lug est certes patron du commerce, comme Mercure, mais avec nos connaissances d'aujourd'hui, qui dépendent d'une vraie linguistique et, il est vrai, de textes médiévaux que ne pouvait connaître César et grand bien lui en a fait, on sait que Lug a une essence solaire, que traduit sans doute son association au corbeau (voir les mythes de fondation de Lugdunum, Lyon) et ce comme Apollon.
Mais là encore, peu importe, si j'ose dire. On peut jouer sur les mots comme sur les dieux (et on joue même beaucoup avec), ce qu'on ne peut changer c'est leur essence, quand elle nous échappe, comme l'amour est l'amour et qu'on peut seulement l'interpréter en Désir (Eros), sexe (Aphrodite Pandémos) ou relation platonique (Aphrodite Ourania), voire tout ça ensemble. Qu'il soit éphémère ou éternel, illusoire ou passionnel. Le divin nous échappe en partie, le dieu, lui, est représentation. Il ne s'agit pas de croire (pourquoi se poser la question, si les choses sont, croire en elles ou non n'a aucun impact dessus), il s'agit de comprendre peut-être, d'exprimer sûrement.

L'interpretatio romana a un intérêt, c'est qu'elle n'est pas juste un phénomène linguistique, elle a surtout une résonnance culturelle. Il s'agit d'un moyen, dans l'empire romain d'alors, de négocier les différences culturelles. Toutes les complexités théologiques qui se profilent derrière sont affaire de théorie, de compréhension du numineux, c'est-à-dire du sens profond de la nature divine (on dira l'ontologie divine pour se la péter un peu), de l'essence divine... ce qui au fond est commun à tous et à toutes les cultures, puisqu'il s'agit des réalités fondamentales de notre monde et de la surnature.

Aujourd'hui, dans le paganisme contemporain avec tous ses travers, peut-on penser à des interpretationes qui, en respectant les figures divines historiques que nous ont léguées nos ancêtres, pour respecter leur culture (et là je vise carrément, mais méchamment, l'Hécate des wiccans), permettraient de jouer sur nos propres différences culturelles, plus affaire de choix que de génétique ou de généalogie (ou alors j'ai un chromosome grec qui me vient, c'est obligé, d'Alexandre le Grand lui-même), de les dépasser en les acceptant, ces différences, pour se concentrer sur le sens, l'essence, le fond des choses, le contenu du contenant, ce qu'il y a dans la boîte de Pandore ou sous la jupe de Vénus, et proposer, enfin, une conscience du monde qui permettrait de vivre content avec lui.

Yallah!

samedi 17 octobre 2009

Hymnologie 1

Je me tiens au milieu des ruines d’un monde oublié,

Je suis debout dans une pleine désolée, abandonnée.

Des livres, des monceaux de livres, se tassent et s’entassent,

Paroles qui se soumettent à des condamnations tenaces.

Je ne sais que faire quant à la poussière et la cendre,

Qui recouvrent les âges éphémères et fugaces.

J’ai peur pour l’avenir, peur de ne pas comprendre

Ce passé que l’on invoque tant et tant qu’il se confond

Dans les fantasmes de l’ère craintive et l’esprit second.

J’invoque ce passé, cet imaginaire refoulé,

Comme on appelle les larmes et la joie inconscientes,

Et je compte sur mes mots pour imprimer

Sur le réel la trace des forces qui nous violentent.

J’ai au cœur cette blessure intrinsèque, cet éclat ardent,

D’amour et de peur religieuse, sceau d’un sacré immanent.

Je sais ce que je vis et vis ce que je crois, fidèlement,

Mais je veux agir par choix et rejette l’irresponsable,

Car les dieux toujours sont lois, et règles du jeu.

Vivre c’est en faire l’expérience, combien redoutable,

Mais les choisir c’est trouver en eux l’âme et l’amoureux.

Le Sage s’adapte et sait accepter ; le Mage plonge en lui-même :

Il trouvera, il le sait, les puissances qu’il aime et l’aiment.

Celles aussi qui le rebutent et le pourchassent, gibier humain,

Mais dans ce for-intérieur, il entreprend la métamorphose

Qui lui donne son nom et son image, marquée du divin

Tel qu’il a choisi de l’être et par choix se l’impose.

Je suis toujours debout entre les ruines à bâtir.

Je vois pousser le lierre entre les pierres, sur la cendre.

Le soleil revient toujours, l’eau coule, la terre se fait temps,

Je me laisse glisser entre les anneaux qu’on a laissé salir,

Loin de l’immonde religion, non dans un culte dont dépendre,

Mais aux entrailles mêmes du sens, de l’être et du conscient.

Là, dans ce jardin de l’instant, proche des dieux du monde,

Je me transforme et me génère en homme animal,

Je suis fils de la terre et du ciel étoilé, l’être primal,

Et la vigueur réparatrice d’une musique me guérit de ses ondes.

(...)

Je suis l’atypique du païen, marginal jusque dans la marge,

Certains diront que je suis lumineux d’autres barge,

Mais peu me chaux je suis une voie qui n’appartient

Qu’à moi

...
Tom

jeudi 15 octobre 2009

Au nom des dieux

A l’heure où la diplomatie française cherche à comprendre, pour mieux le prendre en compte, l’aspect religieux de certains conflits dans le monde, en créant un « pôle religions » auprès du Ministère des Affaires Etrangères, il se trouve que moi je me (re)plonge dans les affrontements religieux de l’Europe moderne (XVIe-XVIIe siècles). Et, si aujourd’hui on se les pose à propos de conflits en Palestine, Afghanistan ou Kosovo, les questions sont les mêmes qu’il y a quatre ou cinq centaines de tours de soleil… En quoi la guerre peut-elle être religieuse ou comment la religion peut-elle justifier la guerre ? Pourquoi la foi engendre-t-elle la violence, qu’elle soit de paroles ou d’actes des plus cruels ?


Bon, on le sait –‘fin, si vous le saviez pas, c’est le moment de l’apprendre (petit message de propagande païenne) – le conflit religieux était absent dans l’Antiquité païenne. Non pas que le religieux se soit absenté de la guerre, au contraire, mais c’est un fait plus ou moins véridique que la religion n’a pas, par elle-même, poussé à la guerre, l'a à peine justifiée. Pourquoi reprocher à l’étranger de vénérer ses dieux (ou son dieu), puisque ce sont ceux de ses ancêtres ?

On n’ira pas jusqu’à dire que le paganisme d’aujourd’hui n’engendrera pas la guerre, bien qu’il soit impossible d’en juger dans l’état actuel. Ce mouvement n’en est qu’à ses balbutiements d’enfant, tout juste se limite-t-il à des disputes intestines qui tiennent plus du chahut de cour de récré que de la guerre confessionnelle. Les débats spirituels internes au paganisme contemporain sont d’une relativement faible ampleur et restent d’une certaine courtoisie, sans prendre d’autres formes qu’un échange de paroles. Tout au plus, les attaques sont individuelles, elles portent sur les personnes, non sur les différentes formes de « religions » qui, bien qu’objets de critiques les unes envers les autres, ça et là, n’en sont pas moins comprises dans cet ensemble qu’est le paganisme. Cette relative unité du mouvement païen est sans doute la raison de cette acceptation de la différence, chère à mon cœur, car, en revanche, quand le mouvement regarde vers l’extérieur, il se confronte à des monuments d’une ancienneté remarquable, notamment le christianisme tant controversé. Et comme c’est contre lui que se construit en général le paganisme actuel, il lui faut bien préserver inconsciemment cette unité interne. On note ainsi que certaines voix commencent à s’élever pour contester à la wicca son appartenance à l’ensemble païen, parce qu’elle ressemble beaucoup trop à un christianisme féminisé… Sans entrer dans le débat, on comprend bien que le conflit religieux est latent dans le paganisme actuel, du fait même qu’il se construit en opposition.

En cela, il ne peut renier son héritage abrahamique - ce qu'il ne manque pourtant pas de faire. Car, quand est apparue la cause religieuse en matière d’affrontement ? Avec le christianisme. De la même façon, celui-ci a dû se déterminer et se construire en grande partie dans sa différence puis son opposition à d’autres systèmes religieux. Dans sa différence avec le juif, dans son opposition au païen. Construction d’une vera religio, une vérité, toute entière « révélée » et portée vers la recherche du salut. La nécessité de sauver en apportant cette vérité conduit à la « charité » qui est transmission de la « grâce » salutaire, conversion par la parole, puis conversion par le droit, le rite ou les armes… Le djihad recouvre en partie cet aspect des choses, avec le sens propre à la pensée de Muhammad.

Aujourd’hui, le (néo- ???)paganisme est porté à se définir en opposition aux religions abrahamiques, mais pas (encore ?) à la conversion et à l’évangélisation, c’est-à-dire au transport de son « message ». Ce message n’aurait rien de mauvais, je le pense bien sûr. Au contraire, aiderait-t-il à transmettre le respect et l’amour de la nature, et en premier lieu celle de l’homme, la compréhensi

on des forces qui la mettent en mouvement, et à changer les aspects les plus négatifs de cette société polluée par ses propres excès industriels et économiques ? On en est loin, car tous les païens eux-mêmes n’ont pas développé leurs idées d’une façon assez réfléchie. Les appels à la révolution de certains sont bien « nobles », mais sont-ils réalistes ? Ou juste empreints d’un manque de brutalité historique, dont se flattent par exemple les révolutionnaires franchouillards, un peu comme si les générations occidentales de maintenant étaient tels des chiens privés de viande, aux instincts de loups castrés par la cage en or de leur société. La nature animale de l’homme comprend la violence…

Mais voilà comme il est prodigieux que l’on passe d’une réflexion sur la violence religieuse à des problèmes d’ordre social ! En effet, la religion à elle seule pousserait-elle à la violence ? Une lutte, révolution ou guerre, si elle est religieuse, ne pousse pas au prime abord à la guerre, si ? Si, parfois peut-être. Mais elle ne commence pas comme ça. La Réforme a commencé comme une guerre de bouquins, entre universitaires, une guerre de mots. Le djihad aussi a commencé par un bouquin. Ensuite, toujours, les raisons socio-économiques sont les moteurs de l’acte, du geste. Guerre des paysans dans les années 1520, pouvoirs civils contre clergés, lutte du marchand Muhammad contre les élites païennes de La Mecque, puis nécessité croissante de conquête et quête d’identité… identité qui est aussi sociale. Si les païens en viennent un jour à avoir voix au chapitre, il y aura sans doute revendication sociale, bien qu’on répugne encore à mêler nos opinions politiques, du moins ouvertement, à nos idées religieuses.

Ce sera sans doute une revendication écologique, nouveauté du siècle. Là est, je pense, l’originalité du mouvement païen, qui se définit parfois comme l’ensemble des « religions de la terre ». L’avenir dira si les païens sont capables de rester unis dans la tolérance de leurs différences, s’ils sauront abandonner leur puérile crise d’adolescence contre le christianisme paternaliste (complexe d’Œdipe, quand tu nous tiens !! j’aime la Mère et je combats le Père, amen). S’ils sont unis ce sera sans doute autour du sacré de la nature et de la défense d’ycelui… Mais voilà, je fais de l’histoire, pas de la divination. Tirez une carte…