lundi 26 octobre 2009

Et Pandore, cette gourdasse, ouvrit la boîte...

"J'en chie en c'moment!" "Je rame" "Je galère à joindre les deux bouts" "je suis épuisé" "la vie est dure ma brave dame"... et autres allocutions du genre qui reviennent toutes à dire que nous aut', pauvres mortels d'ici bas, nous souffrons, peinons, pataugeons dans le cambouis d'une vie toujours en chantier... Mais quelle est l'histoire?

Il y a celle d'une p... fille, qui s'appellait Eve, et qui écoutait trop naïvement - dans l'innocence d'un monde où on pouvait pas manger les fruits de la connaissance, genre tu peux tout faire mais surtout n'y comprend rien, ne réfléchis pas - trop naïvement donc les ragots de basses branches d'un serpent bien malin celui-là - normal il avait dû déjà en bouffer du fruit défendu, lui. Eve a donc croqué sa pomme - ou sa figue, ou sa grenade, bref le fruit de la connaissance, celui qui te rend moins con mais du coup moins gérable. Elle en a fait partager la pulpe juteuse (et là y en a qui ressortent leurs interprétations philosophiques et freudiennes du mythe) à son homme, le seul qu'elle pouvait avoir au demeurant, lequel, aussi con qu'elle, s'est mis à savoir. Du coup, puni cagibi, ils sont voués tous les trois à en chier jusqu'à la rédemption finale où tout le monde se retrouve purifié et revient à ce nirvana de la béate ignorance, genre camé profond qui distingue pas ses pieds dans les nuages. La nana hurle sa maman lorsqu'elle a ses règles ou lorsque le futur chiard lui écarte les parois vaginales, le papa se crève le dos en poussant sa charrue dans son champ plein de caillasse et paie ses impôts, le serpent se ripe la bedaine à se tortiller sans guibole sur la même caillasse, bref, la vie quoi.

Autre culture, autre mythe, même morale grosso peto. Zeus s'est fait arnaqué sur la marchandise lorsqu'a été institué le rite du sacrifice (aux hommes la viande, aux dieux les os et la graisse), du coup il fulmine sa vengeance bien frappée, avec des glaçons en forme de coeur. Il fait modeler une femme, une bombasse qu'Héphaistos, potier pour l'occasion, tripote dans la glaise de son atelier et à qui il donne vie. Cette belle Pandore ("cadeau de tous", mais quel cadeau) reçoit bien des dons : le charme d'Aphrodite, des fringues de chez Athéna (c'est de la marque) et le grain de sel d'Hermès : la curiosité. Pandore est donc, là aussi, une conne. Mais elle a été faite ainsi, ne lui en veuillez pas.
On la refourgue en mariage à Epiméthée, le frère de celui-là même qui a créé les hommes et arnaqué Zeus, Prométhée. Mais ce frangin est tout l'opposé de son aîné et, comme son nom l'indique, c'est lui aussi un abruti. Ce qui est moins excusable de la part d'un titan, mais bon, passons, ce qui est fait est fait. Comme cadeau de mariage, on lui donne une boîte avec écrit "défense d'ouvrir" (ou une jarre, ou un pot de chambre sur lequel il est écrit "ne pas tirer la chasse", comme vous voulez). Faut déjà se méfier de ce genre de cadeau. Mais les deux mariés sont des triso. Epiméthée un peu moins, il comprend quand même qu'un cadeau de Zeus avec écrit "pas touch'", ça s'touche pas. Il le planque.
Mais voilà, un jour qu'il était partie taper le carton, Pandore, cette brave petite, décide de faire le grand ménage de printemps. Et elle tombe sur la boîte que son c... cher époux avait mal cachée. Et comme elle est curieuse, pire qu'Alice, elle l'ouvre.

La conne.

Un tas de merdes s'en échappent, mais des vraies saletés. Toute la misère du monde s'y trouvait enfermée, gentil cadeau empoisonné, et du coup s'échappent la faim, l'effort, la peine, la maladie, la douleur, les impôts et le papier toilette écologique, bref, tout ce qui rend notre vie si difficile à construire, notre quotidien si semblable à un jeu de cricket où c'est toi qui fait la boule. Pandore se retrouve mal, bien sûr, la pauvre, si elle avait su lire (ben oui, le mythe ne dit pas si elle avait seulement appris à lire cette cruche). Mais le mal est fait, les hommes sont destinés à suer sang et eau pour payer des taxes, les femmes à les maudire quand elles transmettent ce lourd fardeau à leur engence, et les serpents... non pas de serpent dans cette histoire, les pauvres bêtes, elles n'ont rien à voir là dedans, c'est une épouventable méprise.

(zoli dessin d'Arthur Rackham)

C'est alors qu'entre ses larmes, la pauvrette se rend compte qu'il reste un truc au fond de la boîte. Là, grelottant, l'air perdu comme une coccinelle dans un bac à sable, cherchant à se fondre dans le décor en bois peint de sa prison maudite, l'Espoir, petite bestiole minuscule et volatile que le Père des hommes et des dieux, dans sa miséricorde - bon j'parle chrétien et alors? - avait gentiment laissée avec toutes ses merdes dans le tuperware de la chcoumoune, au cas où le reste serait trop difficile à supporter pour les hommes.

Un suppositoire pour faire passer le poison, en somme.

L'espoir... un cadeau? Je n'en suis pas sûr. C'est une pilule agréable certes, mais ne fait-il pas parti de la malédiction au même titre que les autres? Car Zeus, mon bon Hésiode, est retors, il a la métis en lui, la ruse, la sagesse de pondre des plans que Machiavel aurait pas pu imaginer. Zeus est pas roi des dieux pour des prunes, il sait ce qu'il fait. Les malheurs ne seraient rien sans l'espoir. Mais l'espoir de quoi? L'espoir d'une vie meilleure? L'espoir d'échapper à tout le reste? Non, on n'y échappe pas. Pourtant oui, la vie peut être meilleure. Alors? Doit-on espérer?

Oui, on le doit. Oui parce que depuis que cette gourdasse de Pandore a ouvert la boîte, l'espoir s'est mêlé à toute la foule des cochonneries qu'on doit endurer. C'est aussi lui qui fait jouer au loto le mec qui peut pas payer une sucette à son gosse, dans l'espoir d'être riche et de rembourser toutes les dettes contractées pour la bagnolle. L'espoir fait vivre. L'espoir permet d'endurer la souffrance, le chagrin, mais ne soigne pas de l'inéluctable. Zeus, plus malin que Yawhé qui plante un arbre pour qu'on n'en mange pas le fruit, avec sa boîte qu'on doit pas ouvrir? Peut-être pas. Yawhé savait aussi ce qu'il faisait. On n'est pas démiurge transcendantal sans un brin de jujote. Si Adam et Eve n'avaient pas mangé le fruit, il seraient restés dans cet état d'hébétude éternelle que tout bon créateur attend de ses poulains quand il expérimente avec eux la vie. Mais en mangeant le fruit de la connaissance, ils deviennent les seuls responsables de leurs choix. C'est le libre-arbitre, tant discuté par les théologiens de ce quartier. Du coup le Père se décharge de sa propre responsabilité. L'expérience ne sera pas pratique, mais il pourra au moins reprocher leurs inconduites à ceux qui savent. Et il leur vendra la foi, en compensation, dans sa miséricorde.

Mais que faire de cet espoir? Le remettre dans sa boîte et réexpédier le tout à Zeus en colissimo? Ou le recueillir, l'entretenir avec des feuilles (ou des blogs, question de régime), lui donner un petit coin de coeur avec un nid douillé, fait des branches de nos propres souffrances? Pandore, cette Pérette, a finalement fait le bon choix. Elle a recueilli l'espoir, lui a lissé les ailes, l'a nourri avec un goutte-à-goutte de ses propres larmes, et il s'est multiplié. Chaque être humain peut donc avoir l'espoir avec lui. Celui-ci est impuissant à soigner le mal, mais c'est un précieux compagnon pour éponger les chagrins qu'il engendre, puisqu'il se nourrit de larmes et sécrète le désir de vivre. Ainsi l'espoir fait vivre.

Il n'a rien de comparable à la force de la volonté, rien qui agisse sur ce monde. Ce n'est pas une puissance métamorphosante, il ne modifie pas notre vie. Mais il essuie la sueur. Et quand il disparaît l'homme sait qu'il a perdu quelque chose.

Chaque homme est une boîte de Pandore.

7 commentaires:

Funnyloves a dit…

Encore un magnifique article --tu es en forme--, avec un style inimitable. Il y a des petites phrases qui sont de véritables pépites et mériteraient d'être reprises dans un dictionnaire de citation pour briller dans les soirées parisiennes.

Sans oublier néanmoins la profonde réflexion qui accompagne le texte et une conclusion intéressante.

Tom a dit…

Rooo, Funnyloves arrête, tu me fais rougir!

Je te remercie de tes commentaires, ça me fait toujours plaisir. Et ton blog à toi? Tu ne le reprends pas? Je n'ai pas vu s'afficher de nouvel article depuis looogtemps!

Aegiale a dit…

Ben moi, je suis sous le charme de ce billet. Voilà, c'est dit. Je lis avec intérêt depuis un certain temps, mais ce post-là, il me fait carrément sortir de mon silence.

Tom a dit…

OooO
Ben merci, j'suis enchanté... mais à qui dois-je cet honneur?

Alice du Pot Au Lait a dit…

C'est déligouteux.. vraiment..
Le meilleur jusqu'ici, qui m'a fait rire comme une groupie surprise de voir son admiration justifiée de manière si inattendue, un ptit rire cristallin qui a fait se lever 4 têtes de derrière leur écran 15"

C'est dangereux ce que tu fais, ça va devenir addictif cette prose...

J'ai envie de dire...
Encore!!

Funnyloves a dit…

C'est vrai qu'il y a longtemps que je n'ai pas écrit... La faute au manque de motivation. Mais je ne sais pas où la trouver.

Tom a dit…

Oh ben... dans le fait que des gens te lisent? ou le besoin de partager, d'extérioriser des expériences? C'est vrai que si tu n'en as pas besoin, rien ne t'y oblige!