vendredi 19 décembre 2008

L'oracle de Claros

Voici un oracle qui a beaucoup fait parler de lui, et qui m'intrigue personnellement.


Claros était une cité d'Asie Mineure connue pour son oracle d'Apollon. C'était le Delphes du coin. On le consultait pour bien des choses, de la banalité des événements à des questions plus philosophiques. L'une d'elle, que l'on se pose de tous temps, a laissé sa réponse dans la pierre...


« Qui est dieu? »

Ou quel est le dieu... entendez le divin suprême, la chose au dessus de toutes les choses, le pourquoi du comment, de l'être et du non-être. Le « truc ».


Pour être tout à fait honnête, on n'a pas la question. Mais la réponse permet de la deviner. On connaissait cet oracle par plusieurs textes antiques qui le citaient, notamment chez Lactance. Puis on l'a découvert, gravé dans la pierre, à Oinoanda, autre bourgade anatolienne, de moindre importance que Claros, plus retirée. Ce qui prouve la célébrité de cet oracle, son impact sur les gens.


La pierre portant l'inscription faisait partie d'une muraille désaffectée. Elle était située à peu près à 2m du sol. Juste en-dessous, mais à hauteur d'homme cette fois-ci, se trouvait une autre pierre dédicacée, supportant un petit autel en relief servant à allumer un feu, comme une veilleuse. Il a son importance, ce petit feu, vous comprendrez pourquoi...


Voici l'inscription, telle que traduite par Louis Robert, le grand maître de l'épigraphie...


Né de lui-même, à la sagesse infuse, sans mère, inébranlable, ne comportant pas de nom, aux noms multiples, habitant du feu, voilà ce qu'est Dieu. Mais nous sommes une parcelle de Dieu, nous anges messagers. A ceux qui interrogent au sujet de Dieu, pour savoir quel est son être, il a déclaré l'Ether, dieu qui voit tout ; c'est vers lui qu'il faut porter ses regards, et prier, le matin, en regardant vers l'orient.


Certaines formules, comme les « anges messagers », portent à confusion, le vocabulaire choisi rend mal le grec (angelos signifie tout simplement « messager », il n'a rien à voir avec les anges judéo-chrétiens, malgré ce que défendent plusieurs spécialistes). Mais dans l'ensemble, elle ne renie pas les talents de feu M. Robert.

On distingue trois phases dans cette réponse de l'oracle :


-la première définit le divin, en réponse à la question supposée... C'est un dieu qui n'a pas été engendré, qui est né tel quel, n'a pas reçu d'enseignement et connait toute chose par nature. Il est impossible de le nommer, donc on le nomme de multiples façons. Il est de nature ignée aussi. Le feu étant, à bien des égards, la quintessence, le cinquième élément. C'est un dieu transcendant, pas spécialement créateur, mais toute chose existe par lui et en lui. Il me fait penser à la fois au dieu des religions abrahamiques, mais surtout au Protogenos de l'orphisme, au Zeus des stoïciens, et particulièrement au Sol Invictus des empereurs romains. Nous sommes à une période où la croyance en un divin suprême et transcendant le monde se développe dans le paganisme. Ce divin est souvent assimilé au soleil, qui est vu comme l'âme ou le coeur du monde (à ce propos, la lune n'est-elle pas le miroir de l'âme?).


-la seconde explique quelle place occupent les dieux, dans un système qui reste polythéiste et ne cherche pas (comme on pourrait le croire à première vue) à devenir monothéiste. Apollon, l'auteur de cet oracle, bien qu'il s'agisse des positions théologiques du clergé de Claros, évidemment, se place, lui et ses égaux, les dieux du panthéon, dans la position des messagers. C'est très net, dans son cas, puisque la fonction de dieu oraculaire est clairement une fonction de transmission, de message... Mais on peut aller plus loin, et dire que les dieux, en général, ont pour fonction de « révéler » le « dieu », le divin suprême. Ils transmettent au monde, dans le monde, de manière immanente, l'essence divine de la transcendance. Ils sont parties de lui, et en même temps, il les a fait exister, leur a donné leurs fonctions, leur place, etc... Dans d'autres oracles, Zeus lui-même doit ses fonctions à ce « divin » indéfinissable.


-la troisième phase... c'est celle qui me touche le plus, par sa simplicité. Il s'agit, après ces explications toutes théologiques, de donner des consignes rituelles, ce que les oracles de l'Antiquité faisaient volontiers. Or, il n'est pas question de grandes fêtes pompeuses, de sacrifice, de consignes de pureté... en même temps tout ca est habituel à l'époque, ca n'a pas tellement besoin d'être précisé. Mais là, tout ce qu'on trouve à nous dire, pour honorer le divin dans toute son essence, le divin suprême, transcendant, the divine, quoi, ben c'est juste de le prier le matin, tourné vers l'est. C'est là que le petit autel où brûler un feu peut-être perçu comme la mise en application de ce principe rituel. Comme on peut le lire, le divin est de feu, il vit dans le feu. La porte de la muraille où se trouvent ces deux pierres est orientée vers l'est. On imagine très bien le croyant, allumant un feu comme une veilleuse, à l'aube, faisant face à la lumière naissante du soleil, face au feu, au renouveau éternel de la vie, face à la lumière et au coeur du monde, l'astre symbole d'ordre cosmique, du temps, de la justice, qui voit tout, écarte les ténèbres... Le divin, visible dans cet instant, ce moment précis de la naissance sans cesse répétée. Feu qui est aussi intérieur à l'homme, prière qui monte vers le divin au lieu de la fumée des sacrifices, comme chez les rabbins, qui suffit à honorer le dieu et nourrir ce feu sacré, notre feu sacré...

Un rituel d'une simplicité qui, je ne vous le cache pas, me convient parfaitement. Il contient à mon avis une force qu'on ne soupçonne pas. Il se vit tout simplement...


Yule, ne serait-ce pas le jour de la naissance du soleil invincible? Ma veilleuse est prête, ma prière aussi.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ceci explique cela
Jtrouve ça limite de justifier sa pyromanie en postant des explications antico-mystiques sur son blog..
Moi jdis ça.. jdis rien hein

Funnyloves a dit…

Très, très intéressant.