vendredi 11 septembre 2009

Faunerie


Petite histoire des égypans, faunes, satyres et autres chèvre-pieds…

Un égypan : kézako ? C’est une créature mi-homme, mi-animal, la plupart du temps dotée de pieds et d’oreilles de chèvre. La racine grecque aegy- désigne la chèvre, celle dont la peau recouvre « l’égide » (bouclier divin). On peut considérer le dieu Pan comme un égypan, mais aussi les satyres et les chèvre-pieds, bien que les premiers, comme vos yeux ébahis vont le voir, soient en réalité mi-hommes, mi-chevaux. Le Capricorne est un égypan : dans la mythologie mésopotamienne, il s’agit d’une créature mi-chèvre, mi-poisson ; dans la mythologie grecque, il s’agit de la chèvre Amalthée, une nymphe qui nourrit l’enfant Zeus de son lait divin. D’emblée, il faut admettre que l’élément caprin, fondamental pour l’ensemble des égypans, n’est pas absolu. Et puis, tous les capridés ne sont pas forcément des égypans, et d’ailleurs, que penser de la chimère, une créature ignivome mi-chèvre, mi-lion, mi-dragon? On met peu en avant aujourd’hui la trombine de chèvre de cette bébête, pourtant, étymologiquement, la «khimaira » est une chèvre. Cet animal est quand même plus important pour les peuples des montagnes de Grèce ou d’Asie mineure, qui ont les premiers fricoté avec ces étranges créatures.

Que dire du satyre alors, que l’on voit tant aujourd’hui déguisé en bouquetin ? La première référence aux satyres est faite dans un poème grec du VIe siècle av. J.-C., le Catalogue des femmes, où cinq filles nées d’une certaine Phoroneus engendrent les Courètes (démons ou guerriers phrygiens proches de la Mère des dieux), les Nymphes des montagnes (les Oréades, de grandes chasseuses un peu prudes) et les Satyres, qualifiés seulement de «bons à rien ». La première image est du VIe siècle aussi, notamment sur le célèbre Vase François, cratère grec trouvé en terre étrusque (donc en Italie, notez déjà l’expansion de ce petit monde autour de la Mer intérieure) : trois hommes aux oreilles, guiboles et queues de chevaux sont appelés silènes. Sur une autre céramique, on rencontre un dénommé «Satyros» avec une queue de cheval au-dessus du fessier. Les satyres sont donc plus proches du cheval que de la biquette. En même temps, ils tournicotent de plus en plus autour de Dionysos. A l’époque classique grecque, ils ont une apparence de plus en plus humaine, et des drames satyriques mettent en scène ces personnages plutôt comiques, burlesques. Dans le Cyclope d’Euripide et les Limiers de Sophocle, le chœur des satyres est dirigé par Silène, qui est considéré comme leur père. Ce rondouillard est lui-même un satyre, incarnation de l’ivresse et grand compagnon de Dionysos, né comme lui à Nysa, et son père adoptif en quelque sorte. On le dit tantôt fils d’Hermès, tantôt fils de Pan, ce qui ne change pas grand-chose puisque Pan est également fils d’Hermès.

Mais voilà, dès l’Antiquité, les satyres ont été de plus en plus rapprochés des faunes italiotes. Là, le dieu caprin Pan trouve un proche auquel être assimilé : Faunus. Celui-ci est un dieu romain des troupeaux, père des faunes. Dieux joyeux et rustiques, plutôt attirés par les espaces agricoles que par la forêt sauvage, on les entend parfois murmurer dans les bosquets sacrés. Demi-dieux, non immortels, ils se sont vu dédier le pin et l’olivier sauvage. Leur père, Faunus, troisième roi mythique de l’Italie, descendant plus ou moins direct de Saturne (le dieu de l’âge d’or), est appelé Lupercus et vénéré aux Lupercales (actuelle Saint-Valentin) en tant que protecteur des troupeaux contre les loups et dieu de la fécondité ; Incubis, comme dieu des cauchemars ; et Fatuus en tant que prophète.

Les faunes des campagnes ne doivent pas être confondus avec leurs cousins les sylvains, créatures des forêts profondes et des vergers en fleurs. Leur père Sylvanus est un génie des forêts. Lui-même descend probablement de Faunus, ce qui explique l’étroite relation entre sylvains et faunes, que l’on oppose d’autant moins qu’il s’agit toujours de créatures mi-hommes, mi-boucs. Les chrétiens appelleront tout ce monde-là les « incubes », dérivé de l’Incubis des cauchemars. On les accuse alors de violenter les jeunes femmes pour qu’elles engendrent des démons (ce qu’ils sont, même si le christianisme donne à ce mot un sens péjoratif).

Aujourd’hui, alors que faunes, sylvains et satyres se sont mélangés, survivant tant bien que mal, on connaît dans différents pays d’Europe des « chèvre-pieds » qui hantent les campagnes, bénissant les récoltes ou les troupeaux des paysans et portant des noms et des attitudes aussi diverses que les régions où ils habitent. Citons le « Chèvre Blanche » français, l’Urisk écossais, le Kornböcke allemand, le Lysgulbar suédois, le Pilwiz bavarois, le Julbuck scandinave, le Blanc Moussî de Belgique, le Catez yougoslave ou le Pavaro d’Italie. Une preuve que les « fils d’Hermès » sont encore une population fantastique qui mérite beaucoup d’intérêt pour le « magizoologue ».

1 commentaire:

Funnyloves a dit…

Et voilà...

On tourne le dos quelques jours et on se retrouve avec une flopée de billets ! Pas le temps de tout lire, si ce n'est ce billet-ci et celui où tu narres tes problèmes d'inscription et ton envie d'actualité.

Ce billet est très intéressant et instructif. J'aime beaucoup le second et ta manière de commenter l'actualité, qui me rappelle vaguement ma lecture du Canard et qui me manque là où je suis...