jeudi 15 juillet 2010

Y a-t-il un juriste au zoo?

"J'ai des droits! J'exige de voir mon avocat!!!"

L'homme est un animal (Homo sapiens sapiens egocentricus). Ses relations envers les membres de son espèces sont complexes mais fonctionnent toujours, quoi qu'on en dise, sur un mode animal : amour, sexualité, peur, haine, violence, tristesse, possessivité et jalousie, tout ça est animal. Pourtant, tout ça a tendance, depuis quelques millénaires, à être codifié, intellectualisé, c'est-à-dire peu à peu chapeauté par la notion de morale, dont découle, peut-être, le droit, quand ce n'est pas la religion. En ce qui concerne les autres espèces animales... et bien la question est ouverte : doit-on ou non les inclure dans ce droit, expression d'une morale, sachant que pour cela, il faut d'abord faire passer l'animal du statut de "chose", d'objet animé, à celui de personne, d'individu? Voir ce que j'ai lu ce matin sur le sujet ici.

Vous avez le droit de garder le silence.
Tout ce que vous aboierez sera retenu contre vous!


C'est à mon avis une question fort honorable, mais encore une fois mal posée. A nouveau, "l'homme est la mesure de toute choses". La seule optique pour l'animal, la seule alternative qu'on lui propose pour passer de l'état de chose vulgaire à celle de personne dont on reconnaît les sentiments et les ressentiments, est celle de se calibrer par rapport à l'homme, juridiquement qui plus est! Ce n'est pas la première fois. Au Moyen Âge, on traînait en justice les cochons quand ceux-ci étaient coupables d'avoir mangé sur le terrain d'un autre que leur propriétaire. Ou alors on jugeait le chien qui avait mordu, quand on ne brûlait pas pour sorcellerie la chèvre du voisin. Avant l'émissaire, il y a le bouc. Que la justice reconnaisse le rôle de l'animal dans les jeux de cause à effets qui conduisent le monde est à mon avis un fait raisonnable. Après tout, le chien qui a mordu est effectivement celui qui a blessé le plus gravement. Mais est-il celui qui a provoqué? Car le chien qui mord, soit a la rage, et doit donc être considéré comme un malade, soit a été agressé. Quand on dit "agressé", on se place, idéalement, sur le plan d'interprétation du chien. Ce que lui considère comme une agression, alors que du point de vue de l'humain mordu, on se contentait de vouloir lui gratter l'arrière de l'oreille.

Aura-t-il droit à une couverture sociale?

Il est là le problème : l'homme, qui se veut mesure de toute chose et qui ramène l'interprétation du monde à cet anthropocentrisme - "égoïsme cosmique" comme je me le répète souvent intérieurement - ne veut pas se mettre à comprendre comment l'animal pense. Parce que soit-disant, l'animal ne pense pas (merci Aristote et Descartes...). Mais l'animal pense, avec sa propre logique, ses instincts, ses réflexes, qui ne sont pas tout à fait les nôtres mais ne sont pas si éloignés, tant qu'on admet en avoir nous aussi, de par notre propre nature animale. A son niveau, le chien, mais aussi la libellule ou le castor à pelleteuse, a son propre fonctionnement cognitif, réactif et sensitif. Donc, au lieu de tout ramener à soi et d'évaluer l'animal en fonction du droit humain, on devrait prendre largement en compte l'éthologie, c'est-à-dire la compréhension du mode de vie et de fonctionnement psychique de l'animal. De chaque animal. On comprendrait alors, par exemple, qu'on ne possède pas un chien. On s'intègre dans ses modes de fonctionnement et de représentation du monde : le maître est en fait le chef de meute, le nourricier, le protecteur et/ou le protégé, etc. Quand un rat vous fait pipi dessus, il ne vous insulte pas - car selon l'éthique, la loi et le droit humains, uriner sur autrui est synonyme d'insulte et manque d'hygiène répréhensible d'un coup de point dans la face - le rat qui urine intègre, par jeu d'odeurs et donc de manière sensible, l'individu à son "clan", à sa "famille". La justice devrait en tenir compte, non?

Le droit de grève?

Que penser des "bestiaux" de l'élevage? Je viens de lire des théories très intéressantes quant aux origines de l'élevage - apparu au Néolithique. Par exemple, le chasseur qui suit les troupeaux de chèvres sauvages (premier animal domestiqué au Proche-Orient après le chien) s'habitue à leurs cycles de vie, à leur mode de vie, et c'est alors qu'il finit par "fusionner" son propre mode de vie avec le leur et que les deux espèces animales s'associent ainsi, l'homme devenant celui qui entretient la chèvre et peut jouer sur ses propres besoins, avant de se servir et de prélever lait, viande, laine et autres. En quelque sorte, l'éthologie aurait précédé la domestication. On n'a pas intégré l'animal au mode de vie humain, on a appris de l'animal et on s'est adapté. D'un autre côté, les bêtes sauvages les plus effrayantes, celles qu'on ne chasse pas pour manger mais dont on cherche à se défendre, sont devenus objets de représentation magique, image religieuse, et finalement incarnation de la puissance divine de vie et de mort (le Taureau, en particulier, mais aussi les rapaces, les scorpions, les fauves, etc). L'animal, vis-à-vis de l'homme, c'est l'ami, l'associé (que l'on mange ou pas) ou l'ennemi, celui qui représente tous les dangers de la vie, même les plus "mystiques". Aujourd'hui, alors qu'on a chassé la conscience du divin-puissance pour renforcer cet anthropocentrisme, alors qu'une bête, elle la ferme un point c'est tout, que l'on ne se comprend pas soi-même comme animal, que l'on croit avoir pris tellement d'importance au regard de la nature que lorsque quelque chose nous frappe et nous détruit (maladie, cataclysme, etc) on dit "mais pourquoi?" sous-entendu "mais pourquoi on n'a rien pu faire contre ça?" tant on a l'impression que l'homme est au-dessus de la nature et qu'il peut tout en contrôler... Aujourd'hui, il est difficile de se dire que l'animal puisse n'être qu'une autre espèce animale, que pour être en relation avec lui il faut en comprendre les codes et les fonctionnements naturels, qu'on ne peut l'exploiter comme une vulgaire "ressource" sans avoir de facto réduit à néant le sens de la morale. On croit s'élever par rapport au statut de l'animal quand on se construit une morale, mais lorsqu'on fait subir à l'animal ce qu'on n'aimerait pas subir soi-même, on détruit cette idée de morale du fait qu'on est tombé plus bas que lui... Capito?

Et les conventions de Genève?

Se demander si l'animal a des droits c'est comme se demander si la grenouille peut se transformer en vache. C'est idiot, profondément. Il faut se demander si on peut, dans notre rapport à l'animal, prendre en compte ce qu'il exprime, lui. Et nous adapter nous, par rapport à ça, au lieu de tout faire comme si chaque animal pouvait s'adapter à nous. Mais encore faut-il réviser nos concepts et nos philosophies d'égoïstes cosmiques pour se rappeler qu'au fond, nous sommes, tous, des bêtes.

Vos papiers et ceux du véhicule, monsieur.


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1 commentaire:

Squikur a dit…

C'est amusant j'ai lu cet article hier matin, et j'en ai tiré une réflexion approchante, pas aussi poussée, mais disons cousine au deuxième degré...

Et jme suis aussi dit qu'on allait ptêt passer au régime végé.. mais ça c'est un autre problème...

Mais ton article apporte une idée plutôt chouette, largement oubliée des débats: qu'il faut traiter les animaux en animaux, en fonction de leurs propres codes, et non pas calquer nos besoins sur les leurs...
Alors jvais ptêt pouvoir me commander un tartare la conscience mi-tranquille.