Bon, voilà la suite de l’épisode…
En commençant par le commencement. Comment traquer et débusquer le dieu ? Parce que même si le gibier foisonne, avec le temps, il a appris à bien se cacher…
Petite leçon d’épigraphie :
1) Savoir lire le grec ancien
2) Traverser les villages, les campagnes, les forêts, les montagnes, à la recherche de cailloux visiblement grattés par la main de l’homme. Certains se cachent sous la terre, d’autres à même le roc… souvent, un autel antique sert de soutient dans le mur d’une maison, ou une stèle funéraire se planque dans une fontaine, au milieu d’un village, parfois percée d’un trou pour permettre à l’eau de s’écouler… donc on peut s’attendre à tout.
3) Fouiller les musées, en Turquie, en Grèce, en France, en Allemagne, en Autriche, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis…
4) Flâner dans les marchés (pas forcément clairs les marchés, gardez bien précieusement vos fouets d’Indiana ou vos shorties de Lara…)

5) Inviter les collectionneurs privés à manger au restau, et sortir deux ou trois blagues rebondissantes en latin de cuisine (genre la salade César manque de laurier ici… mouahaha)
6) Eplucher les corpus, les articles spécialisés et les livres d’histoire à la recherche d’un matos déjà conséquent, admettons le…
7) Déchiffrer les caractères tout collés-serrés, à moitié gommé par l’âge, direct sur le cailloux, OU lire les textes déjà édités méticuleusement par des générations d’épigraphistes patentés et patients (qui vont rarement jusqu’à en publier la traduction avec…)
8) Collecter, grouper, trier, par lieux, supports, matériaux, dates (quand y en a), fonction, etc…
9) Réfléchir posément sur le sens de la vie…
Voilà.
Maintenant, on s’intéresse à un type particulier de bestiole : les dieux. Laissons donc de côté tout ce qui n’est pas très franchement religieux, genre la dédicace honorifique à Julius, ou le décret de Troupomè sur les accords diplomatiques passés sous l’arbitrage de Rome concernant l’abattage du bois dans la cité voisine, qui n’apprécie pas forcément qu’on lui arpente la forêt dans son dos…
Regardons du côté des pratiques religieuses. Il y en avait un paquet dans l’Antiquité, mais sur la pierre, ça n’a pas forcément laissé de trace. Or, ici, en Phrygie, deux choses à retenir : on a beaucoup, mais alors beaucoup de vieilles inscriptions et on a que ça. Côté texte littéraire, on va chercher longtemps pour pas grand’chose. Mais en fin de compte, tout ce qu’on trouve en Phrygie ressemble à ce qu’on nous raconte dans les sources littéraires sur le monde gréco-romain en général. A commencer par la
pratique votive…
Kézako ?
Dans l’Antiquité gréco-romaine, la piété de base se présente sous la forme d’un échange de bons procédés entre l’homme et le dieu. Mettons un individu lambda qui craint qu’une épidémie emporte ses bœufs et qu’il se retrouve à faire tirer son araire de labour par sa femme et ses gosses… Le dit Lambda se rend au temple, et prie le dieu de protéger ses bestiaux et, tant qu’on y est sa famille, voire son village, parce qu’il a le sens de la communauté. Il fait alors vœu, en échange, de dédier au dieu une offrande, avec une stèle pour bien marquer le coup. Et il le fait, parce que s’il le fait pas, l’accord ne tient plus, et il va subir la colère de la divinité qui se sera faite lésée ! D’où le tas de « documents votifs » en pierre qui envahit les corpus de nos épigraphistes. Ces documents ont une double portée :
- Ils marquent la communication établie entre l’homme et le dieu, ils sont consacrés.
- Ils marquent l’efficacité de la pratique religieuse, en participant à la médiatisation du pouvoir divin. Ces stèles ou autels, n’oublions pas, étaient plantés sur le territoire du sanctuaire, tout le monde pouvait les voir.

Or, il y en a des choses à voir là-dessus :
primo, une inscription, à lire, qui dit à peu près ceci : « Lambda, fils d’Alpha, du village de Troupomè, pour la sauvegarde de ses bœufs, de ses enfants et de son village, à Zeus Brontôn, en vœu. » On a ainsi le nom du dédicant, l’objet de son vœu, la divinité qui est invoquée, et l’évocation du vœu en lui-même (en grec poli on dit euchè). Ce sont tous les composants essentiels de la pratique en elle-même.
Secundo, on a (pas toujours, on vous l’accorde) une image, sur la stèle ou l’autel, qui montre, généralement, le dieu invoqué, le dédicant et/ou l’objet du vœu. Là, en fait, on voit l’action exercée en retour de la piété humaine : le dieu exerce son pouvoir sur le monde des hommes. L’image rend visible ce qui n’est pas forcément clair pour tout le monde, et permet plus facilement de l’imprimer sur les esprits qu’un texte que le phrygien du coin ne sait pas spécialement lire.
Mais il reste que le dieu est présent dans ces stèles, du fait de son nom et de son image. Les autels, encore pire : c’est là qu’on lui rend le culte, c’en est même l’élément fondamental. Alors quand on les voit apparaître sur des stèles ou des autels funéraires, normalement destinés à la seule mémoire du mort, voire à son culte, on devient comme fou !
La suite sera sans doute vouée à parler d’un dieu pas commun, Zeus Brontôn. Celui se gêne pas pour faire des monuments funéraires ses propres vœux…