lundi 1 février 2010

Vivre d'amour et de lait frais!

Le jour d'Imbolc tire sur sa fin lorsque j'écris ces mots. Le soleil a suffisamment décliné pour que l'on ait une raison d'allumer les bougies toutes fraîchement consacrées. A côté de la lampe de bureau, parce qu'il faut quand même y voir clair sur le clavier (j'ai pas vraiment l'azerty dans la tête, moi).

Imbolc est une fête d'origine celtique, si l'on en croît le calendrier de Coligny, probablement célébrée sous les auspices de la grande déesse Brigid (que des croix de Brigitte peuvent contribuer à honorer, même en bon catholique irlandais). Le lait et la lumière sont à la mode de ce jour. Le lait, nourriture des plus petits, la lumière des torches ou des cierges, que l'on porte en procession pour bénir et protéger les jeunes pousses des champs, les rues de la ville, du village, le couloir de la maison... Rite de lustratio, apotropaïque, c'est-à-dire en langage savant "protecteur", l'utilisation en procession du feu repousse les dangers, le frimas surtout, les ténèbres et leur engeance aussi. Imbolc utilise aussi de l'eau, bénie, pure, pour purifier. Car purifier pour protéger est tout le propos de cette fête. Car c'est un instant de passage, le passage de l'hiver au printemps, un moment de (re)naissance : les petits sont fragiles, c'est le moment de les "baptiser", de les protéger, de les nourrir...


Une dame, des flambeaux, du blanc...
croyez ce que vous voyez...


Passons du côté grec, puisque c'est là l'expression de ma spiritualité. Le feu était un élément purificateur et protecteur des plus importants, avec l'eau salée et le sang. Hécate ne brandit-elle pas de longues torches pour guider les mystes dans leurs rituels, là où menacent nombre de dangers surnaturels? Les Ténèbres, en grec (Nyx, la Nuit primordiale), engendrent ces menaces auxquelles nous autres mortels sommes si sensibles : famine, discorde, vieillesse, maladie... sans parler des créatures de la nuit. Or, l'hiver est la nuit de l'année, c'est l'instant de toutes les fragilités. Renaître de l'hiver ne consiste pas seulement à se réveiller après une nuit glaciale, mais aussi à puiser assez d'énergie pour grandir, croître, pousser, perpétuer le cycle de la vie. En faisant face aux "démons des ténèbres", les maux de ce monde. Ca vaut pour les céréales et le bétail, mais ça vaut aussi pour les hommes. Le feu trouve donc une forte valeur symbolique appliquée dans ce but. De même que l'eau, toujours essentielle à la vie, ou l'air. L'eau salée purifiait les autels et les outils de culte, dans la très pieuse Grèce antique. Le rite qui consiste à faire le tour des champs avec des torches existait également à Rome. Et on faisait faire le tour du foyer (Hestia, vous la connaissez bien si vous me suivez ;)) à tous les nouveaux-nés de la famille à Athènes.
Les dieux, exempts des maux de ce monde, sont les plus à même de lutter contre eux. N'est-ce pas ce que faisait Cronos, au temps de l'âge d'or, en maintenant ces démons enfermés dans le Tartare? Zeus les libéra pour mener sa guerre, mais en prenant leur contrôle, il en est le maître incontesté (il l'est du monde entier, de toute façon) et en se tournant vers la famille des Olympiens, on peut trouver l'aide, spirituelle d'abord, concrète peut-être, contre ces pestes. Si on ne peut vaincre les Ténèbres, on doit continuer le combat sans cesse, encore et encore, comme le disait un vieux professeur de magie renommé. C'est peut-être pourquoi l'hiver et le printemps se succèdent chaque année, encore et encore... encore et encore...

Le printemps... Une déesse veille-t-elle à son accomplissement? Une dame comme Brigid est-elle là, à l'instant du renouveau, de la purification, de la protection? Une déesse de la mise au monde... Je l'ai trouvée déjà, du moins le crois-je, dans le panthéon grec. Rien moins que la plus grande dame de toute cette belle famille, l'épouse de Zeus en personne. Héra.

Héra, bienveillante, face à Prométhée.
Bénirait-elle ses fils, les hommes?


Déesse de la souveraineté, elle est celle qu'il faut convaincre pour obtenir sa légitimité : ainsi Héraclès doit-il lutter contre la marâtre pour être finalement le dieu fils de Zeus que l'on vénère, en justifiant son nom de "Gloire d'Héra". Ainsi Héphaïstos doit-il affronter sa mère pour gagner la place qui lui revient de droit. Zeus lui-même ne peut ignorer l'avis d'Héra, et elle seule peut le séduire assez pour détourner un instant son regard de la bataille devant Troie. Elle seule a pu, un jour, le vaincre en le faisant prendre dans un filet magique. Elle paya pour cela, humiliée, mais rien n'a pu la détrôner. Car elle est la reine et nul, pas même le roi, ne remet cet honneur en question.
Il se sont mariés un printemps, le printemps des dieux, et la Terre leur offrit alors l'arbre aux pommes d'or du jardin des Hespérides. Avant cela, Héra avait passé son enfance dans la demeure de l'Océan, aux confins du monde. Guerrière, elle mena la lutte auprès de ses frères, les fils de Cronos, contre les Titans. Zeus la séduisit sous la forme d'un coucou, oiseau printanier s'il en est. Héra, devenue reine après la victoire, resta cependant éternellement une jeune femme, une "vierge" au sens symbolique du terme (une femme toujours jeune, dans une culture antique où la femme devient adulte à son mariage). En effet, en se lavant chaque printemps dans une source sacrée, Héra regagne sa virginité, pour mieux redevenir la déesse épouse du grand dieu. Synonyme de pureté, elle est la déesse blanche (Leucothéa), "aux bras blancs" dirait un vers homérique, vêtue de blanc. De son sein jaillit le lait qui, nourrissant à son insu le bébé Héraclès, entacha la voûte céleste, faisant apparaître la Voie Lactée que l'on peut encore observer certaines nuits. Selon Homère, encore, elle est la déesse "aux yeux de vache", de génisse (vache vierge, donc). Ne peut-on y retrouver le symbolisme du lait d'Imbolc? Une déesse printanière, qui sait rendre visite à la déesse Flore pour trouver les ingrédients de la conception, ou à Aphrodite pour la séduction, déesse-vache qui redevient vierge et pure, pour nourrir de son lait les enfants-dieux... Héra est bien plus, à mon sens, que la vilaine marâtre toujours jalouse et autoritaire que nous apprenons à connaître enfants, quand on nous lit les mythes comme des contes de fées, lesquels ont impérativement besoin de marâtres. Héra est la vache céleste, la reine du printemps, la nourricière suprême. Et déesse du mariage, ça oui, de l'enfantement surtout! Illythie, déesse des accouchements, est sa fille, mais probablement, à des époques très anciennes, un de ses propres noms. Elle permet à la vie d'être, de naître et renaître, encore et encore, en accordant à chacun sa place dans ce monde. Encore et encore....

Elle fait un peu Britney sur cette photo...
mais peu d'images lui rendent vraiment hommage...

Paraphrasons donc le surnom d'Alcée : Gloire à Héra!